Le 12 août était célébrée la Journée internationale de la jeunesse. S’il y a des jeunes dans tous les pays du monde, le continent africain est de loin celui où se concentrent et se concentreront encore davantage au fil des décennies à venir la majorité des hommes et des femmes de moins de 25 ans vivant sur la planète. L’âge médian, qui sépare la population d’un pays en deux groupes de taille égale, est d’environ 19 ans en 2025 en Afrique. Il est de 31,7 ans dans les pays d’Amérique latine et Caraïbes, 32 ans et demi en Asie, 38,7 en Amérique du Nord, 42,8 en Europe.
Même dans un monde où les innovations technologiques, en particulier l’intelligence artificielle et la robotisation, peuvent changer assez radicalement les modes de production économique, il y a peu de doutes sur le fait que les pays qui disposeront d’une proportion de jeunes en âge de travailler en bonne santé, équipés de compétences diversifiées bénéficieront de perspectives de dynamisme économique beaucoup plus prometteuses que celles des pays dont les populations sont moins jeunes et même vieillissantes, ce qui est la réalité démographique déjà actuelle d’une majorité de pays sur tous les autres continents.
Dans tous les pays africains, et encore davantage en Afrique de l’Ouest et du Centre, les deux régions où les âges médians sont les plus bas, le défi le plus important, celui qui devrait occuper tous les jours les esprits les chefs d’État, les gouvernements, les parlementaires, les chercheurs, tous ceux qui voient plus loin que leur propre horizon de vie, c’est comment on peut créer le cadre le plus favorable à l’épanouissement des millions de jeunes et d’enfants qui sont déjà là et des millions à venir. Au Sénégal, l’âge médian est de 19,6 ans environ, très proche donc de la moyenne africaine. En 2050, il devrait atteindre 24 ans, ce qui veut dire que la moitié de la population aura moins de 25 ans.
« Au Sénégal, un jeune sur deux fait face à des obstacles qui freinent son potentiel : l’accès à l’éducation, l’emploi, la participation citoyenne. Mais derrière ces chiffres, il y a des visages, des rêves, des idées. C’est pour ces jeunes que le Consortium Jeunesse Sénégal est né, pour rassembler des synergies, mutualiser des forces, et créer un écosystème qui leur donne les moyens d’agir… Nous croyons que les jeunes ne sont pas seulement porteurs d’espoir : ils sont porteurs de solutions. En les plaçant au cœur des politiques et des projets, en les outillant et en leur donnant la parole, le CJS construit avec eux un avenir plus juste, plus inclusif et plus ambitieux pour le Sénégal… » C’est ce qu’on peut lire sur le site internet du Consortium Jeunesse Sénégal. Cela constitue effectivement la ligne directrice des différents programmes mis en œuvre par le consortium depuis sa création en 2020.
Ce sont dix organisations travaillant sur les questions de jeunesse qui se sont regroupées au départ pour donner naissance au Consortium Jeunesse Sénégal avec cette idée simple correspondant à un adage bien connu : « l’union fait la force ». L’idée de l’union, de la fédération des efforts de plusieurs organisations dans un cadre commun tout en préservant la singularité de leurs membres, paraît simple mais la mise en œuvre, on le sait, est toujours très difficile. Le consortium permet de mutualiser les forces, de structurer les actions de multiples acteurs qui visent le même objectif ultime, un avenir meilleur pour les jeunes au Sénégal. En formant un bloc d’organisations et derrière celles-ci, un groupe de femmes et d’hommes engagés qui ont déjà fait leurs preuves dans leurs domaines d’action spécifique, le consortium permet surtout de changer d’échelle d’action et de constituer une force de plaidoyer auprès des décideurs politiques et économiques pour des politiques en faveur de la jeunesse avec l’implication des jeunes de la conception à la mise en œuvre.
Avec une personnalité forte, un engagement précoce et exemplaire pour l’épanouissement des jeunes, Aziz Sobel Ngom a co-fondé en 2014 avec Arame Guene Sene l’organisation Social Change Factory, dédiée à la promotion du leadership citoyen, de l’innovation et de l’engagement communautaire des jeunes. Sobel Ngom, cofondateur du consortium et directeur exécutif pendant cinq ans avant de quitter cette fonction il y a quelques mois, explique toujours avec une grande clarté les piliers fondamentaux de l’action du CJS. Trois mots en wolof, la langue nationale qui est de loin la plus parlée au Sénégal : « Jang » qui évoque l’apprentissage, l’éducation, la formation, « Bokk » qui évoque l’accès ou l’inclusion dans toutes ses dimensions, y compris l’accès aux instances de décision, l’accès aux informations et aux services publics, et « Ligeey » qui signifie le travail et regroupe tout ce qui concerne l’employabilité, l’entrepreneuriat et la génération de revenus pour vivre décemment.
En 2024, le CJS a lancé en collaboration avec le ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture un programme nommé « Yaakaar 2030 », yaakar signifie espoir en wolof. Avec un financement de près de 12 milliards de francs CFA pour engager et outiller un million de jeunes d’ici à 2030, ce programme est le plus ambitieux jamais conçu au Sénégal pour les jeunes qui sera mis en œuvre par des organisations de jeunesse. Deux projets en sont les principales composantes : le projet « Yaakaar Jeunesse et Citoyenneté » doté d’un financement de 5,2 milliards FCFA avec comme mission le renforcement de l’engagement citoyen et communautaire des jeunes et le programme « Yaakaar Jeunesse et Entrepreneuriat », avec un financement de 6,4 milliards FCFA est destiné à accompagner 800000 jeunes vers l’emploi et l’entrepreneuriat dans 10 régions du Sénégal, avec un accent particulier sur le secteur agricole et l’inclusion des femmes.
Parmi les différentes initiatives du CJS, qui répondent à des besoins très concrets d’accès à l’information des jeunes, la plateforme numérique Guichet Jeunesse qui centralise des milliers d’opportunités d’emploi, de stages, de formation et de financement disponibles au Sénégal et une autre plateforme consacrée à l’éducation populaire appelée Edupop.sn, également accessible à tous sur internet, fruit de la collaboration entre le consortium et le Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture.
Cette initiative du Consortium Jeunesse Sénégal, comme celle du Women Investment Club que j’ai présentée la semaine dernière, est réplicable dans les autres pays du continent, où les aspirations et les priorités des jeunes sont tout à fait semblables. Un consortium Jeunesse Bénin et un consortium Jeunesse Mali ont vu le jour dans ces deux pays respectivement en mars et en août 2024. Le CJS, qui n’a que cinq ans, inspire donc déjà beaucoup dans la région.
Le pari de l’action transformatrice n’est évidemment pas encore gagné. Mais le consortium Jeunesse Sénégal me semble promis à un bel avenir si les facteurs qui me semblent déterminants pour la réussite sont réunis et maintenus dans la durée: la sincérité de l’engagement des fondateurs, le choix des femmes et des hommes qu’il faut à la place qu’il faut pour assumer les fonctions opérationnelles, l’aptitude à mobiliser des ressources financières auprès de différents partenaires pour mener des programmes à une échelle significative, et enfin leur capacité à entretenir une collaboration saine avec les institutions publiques et à naviguer dans des contextes politiques parfois compliqués et toxiques, sans se compromettre.
Il est certain que les contextes dans lesquels opèrent des organisations de la société civile sont dans beaucoup de pays bien plus difficiles que celui du Sénégal. Mais partout, des marges de manœuvre existent pour que celles et ceux qui veulent agir directement et indirectement pour libérer le potentiel immense des jeunesses africaines, s’organisent et se coalisent pour être beaucoup plus influents. Sur le modèle d’un consortium formel ou non. Vous trouverez comme d’habitude dans la version écrite de cette chronique plusieurs liens pour aller plus loin.
