Le 26 juillet 2023 tombait la nouvelle, d’abord confuse, puis de plus en plus précise d’une tentative de coup d’État militaire au Niger. L’auteur principal du coup, le général Abdourahamane Tiani, était très bien placé pour mener cette opération. Il était le commandant de la garde présidentielle en charge de la sécurité du président Mohamed Bazoum, après avoir occupé la même position stratégique sous Mahamadou Issoufou, qui dirigea le pays de 2011 à 2021.
Le général Tiani réussit à convaincre les chefs ou les adjoints des chefs des principales composantes des forces de défense et de sécurité nigériennes de ne pas s’opposer au renversement du président Bazoum. Ainsi naît le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, CNSP. Les premières déclarations du CNSP dirigé par le général Tiani n’ont pas dérobé à la règle de l’exposé des motifs de la prise de pouvoir par la force. Les hauts gradés auraient renversé le président Bazoum à cause de son incapacité à résoudre les problèmes sécuritaires, à améliorer la gouvernance et les conditions de vie des populations et parce qu’il aurait confié à des acteurs extérieurs occidentaux, France au premier rang, puis d’autres pays européens et les Etats-Unis, une influence excessive et inacceptable sur la gestion de la sécurité et de la défense du pays, en autorisant le déploiement de milliers de troupes étrangères sur le sol nigérien.
Les réactions de la France, notamment les déclarations du président Emmanuel Macron appelant ouvertement à une intervention militaire de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qu’elle serait prête à soutenir, celles de la conférence des chefs d’État de la CEDEAO qui a agité la menace d’une intervention militaire et adopté des sanctions économiques extensives, y compris la fermeture des frontières de ce pays enclavé, ont donné un coup de pouce inespéré aux auteurs du coup de force.
En quelques jours, l’attention s’est focalisée sur le bras de fer entre les militaires nigériens prêts à mourir pour défendre la patrie d’une part et de l’autre, la France, ancien pays colonisateur qui se croyait en terrain conquis depuis quelques années, et ses pays alliés ou proches dans la région, tous désormais présentés comme des ennemis du Niger. Ces réactions ont renforcé l’image d’un Mohamed Bazoum trop proche des capitales occidentales.
Deux ans plus tard, le nouveau pouvoir qui s’est installé à Niamey essaie toujours de maintenir une certaine popularité sur la base du discours sur un Niger menacé par des pays déterminés à le déstabiliser par tous les moyens. Ce 25 juillet, à la veille du deuxième anniversaire du coup d’Etat, le général Tiani, désormais président de la République pour cinq ans renouvelable sans élection, a notamment déclaré ceci dans un message à la nation : « Depuis le 26 juillet 2023 et notre engagement patriotique à prendre notre destin en mains, le système néocolonial réactionnaire de mise sous tutelle du Niger que nous avons renversé n’a cessé de se déchaîner contre notre pays et son peuple… ».
Le discours visait clairement à répondre à la fatigue des populations nourries aux discours souverainistes depuis deux ans qui ont du mal à nourrir leurs familles dans le sens propre du terme. Le président a évoqué « un chemin plein d’embûches, aux conséquences difficiles, aussi bien pour les Nigériens, pris individuellement, que pour le pays». Le bilan sécuritaire, politique, économique et social du gouvernement issu du coup d’État n’est de fait pas reluisant. Il est de plus en plus difficile, même pour les défenseurs du pouvoir actuel d’affirmer le contraire. Le pays a gagné en souveraineté mais le discours et même les actes qui symbolisent une conquête de marges de manœuvre par rapport aux acteurs étrangers ne donnent pas à manger aux populations, ne créent pas les conditions pour des investissements dans l’économie et ne permettent même pas de maintenir le niveau d’activité d’avant le coup d’État dans beaucoup de secteurs.
Des Nigériens témoignent de la désillusion des populations qui aspirent à vivre à peu près décemment dans un pays dont l’indice de développement humain est le plus faible en Afrique de l’Ouest. La bonne performance du secteur agricole a permis de réduire légèrement le taux de pauvreté extrême en 2024 selon une note de la Banque mondiale publiée en avril 2025 mais la hausse du prix des denrées alimentaires a atteint 12,9% l’an dernier. Beaucoup de Nigériens ne comprennent pas le maintien délibéré par le gouvernement de Niamey de la fermeture officielle de la frontière avec le Bénin voisin, dont la conséquence la plus évidente est la flambée des prix des produits qui passent la frontière illégalement au vu de tout le monde mais à un coût très élevé. L’accusation ressassée et jamais étayée de l’existence de forces étrangères en territoire béninois se préparant à attaquer le Niger sert toujours d’argument pour justifier la fermeture de cette frontière qui pénalise les deux économies et appauvrit très concrètement des millions de personnes.
Depuis deux ans, l’ancien président Bazoum et son épouse sont séquestrés dans une aile de la résidence présidentielle. Le général Tiani habite dans le même périmètre présidentiel. Tout comme l’autre homme fort de Niamey, Mahamadou Issoufou, toujours traité avec les honneurs et les privilèges très proches de ceux accordés à un chef d’État en exercice. Son rôle actif ou passif dans le renversement du successeur qu’il avait lui-même choisi et soutenu au sein du parti, le fidèle compagnon politique et ami Mohamed Bazoum, reste controversé et très discuté à Niamey et dans bien d’autres endroits, où on se demande aussi s’il ne peut pas aider au moins à mettre fin à la séquestration du couple Bazoum.
Comme l’écrit le journaliste nigérien Idrissa Soumana Maïga, « le sort de Mohamed Bazoum n’est plus une affaire personnelle. Il est le miroir de l’impasse politique au Niger. Chaque jour de sa captivité continue d’écrire l’histoire d’une transition inachevée. Sa libération, son procès ou son exil ne sera pas l’épilogue de la crise ; ce sera le prologue du prochain chapitre de l’histoire du Niger, un chapitre qui reste entièrement à écrire. »
Deux ans après le choc politique du 26 juillet 2023, les perspectives politiques, sécuritaires et économiques sont incertaines au Niger. Dans son discours du 25 juillet, le général Tiani a évoqué « le choix de la dignité dans l’honneur et pour l’avenir », qu’il a opposé au « choix de la soumission ». Une des grandes figures des indépendances africaines avait eu cette formule célèbre : « Il n’y a pas de dignité sans liberté : nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage ». Ce fut une déclaration remarquable. Le souci est que plusieurs décennies plus tard, les populations de son pays, la Guinée, ont connu à la fois la pauvreté et l’absence de liberté. Il faut espérer que la très respectable quête de dignité par nos frères sahéliens ne finisse pas par créer les conditions de l’insécurité, de la dictature et de la misère généralisées et pour longtemps.
Pour aller plus loin, revenir sur le contexte dans lequel survient le coup d’État mais aussi les considérations géopolitiques et les perspectives de développement économique et social du Niger compromises par les incertitudes politiques, je recommande entre autres la lecture de mon article publié en août 2023 par le think tank Carnegie Endowment for International Peace, le dialogue virtuel de WATHI avec le chercheur franco-nigérien Jean-Pierre Olivier de Sardan et la table ronde en ligne sur les perspectives au Sahel à laquelle participa notamment Moussa Tchangari, figure majeure courageuse de la société civile nigérienne, en détention provisoire depuis bientôt huis mois. C’est le sort réservé aux personnes qui n’ont pas choisi le silence ou le soutien sans nuance aux nouveaux hommes forts dans les pays du Sahel.
