Ces dernières années, dans plusieurs capitales africaines, les mobilisations de la jeunesse se sont intensifiées. Dans les rues, pancartes à la main, comme sur les réseaux sociaux à travers des hashtags, les jeunes dénoncent l’état de la gouvernance politique, économique et sécuritaire. Au Nairobi, les protestations contre Ruto sont accompagnées de hashtags. #RutoMustGo (Ruto doit partir) cristallise la colère d’une jeunesse excédée par des politiques économiques jugées injustes. A Lomé, les mobilisations de rue ont trouvé un écho en ligne avec le hashtag #SansNousConsulter qui réunit ceux contestant la nouvelle Constitution adoptée par le parlement sans référendum, une réforme destinée à consolider le pouvoir de Faure Gnassingbé, déjà aux commandes depuis vingt ans et héritier d’un système en place depuis plus de soixante ans.
Dans le Sahel, le désormais célèbre #FranceDégage a émergé sur les réseaux sociaux au même moment que les manifestations dans les rues de Niamey, de Bamako ou de Ouagadougou. D’abord slogan contre la présence militaire française, il est vite devenu l’expression d’un rejet plus large des alliances perçues comme inégales et imposées et néocolonialistes. Malgré des contextes différents d’un pays à l’autre, la lassitude reste la même: un rejet profond des pratiques politiques dominantes et une désillusion vis-à-vis des dirigeants, perçus par certains comme trop proches des intérêts occidentaux. Pour beaucoup de jeunes Africains, la lutte politique et sociale reste un fantasme collectif. Elle est nourrie à la fois par l’héritage des grandes figures de l’indépendance comme Patrice Lumumba, Kwame Nkrumah ou Modibo Keita amplifiée par les réseaux sociaux, la désillusion face aux réalités contemporaines et les promesses non tenues. La jeunesse se trouve ainsi partagée entre l’envie de faire renaître l’esprit de résistance et la tentation de se réfugier dans un passé glorieux.
Les régimes militaires au pouvoir au Mali, au Burkina Faso et au Niger savent habilement exploiter cet imaginaire révolutionnaire. Au Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré s’inscrit dans une posture qui rappelle les années de la Révolution sankariste. Il reprend certaines formules de Sankara pour qualifier les “valets locaux de l’impérialisme” ou encore « apatrides » ceux qu’il juge complices de puissances étrangères. Son discours a ravivé une mémoire politique encore vive dans la société burkinabè. Il construit un récit politique qui glorifie l’uniforme kaki comme symbole d’intégrité, de souveraineté retrouvée et de capacité à affronter la menace jihadiste là où les régimes civils, corrompus et faibles, auraient échoué.
Ce “mythe kaki”, décrit par Ousmane Ndiaye dans L’Afrique contre la démocratie entre mythe, déni et péril, ravive une vieille illusion : celle de l’armée perçue comme force salvatrice. Pourtant, l’histoire récente est claire : les régimes militaires africains n’ont pas été épargnés par la corruption, le clientélisme et la répression. Le costume change, mais trop souvent, les pratiques demeurent. Un autre mirage continue de séduire : celui de l’homme fort qui fait avancer le pays. Le Rwanda de Paul Kagamé est souvent cité en exemple, présenté comme propre, discipliné avec une économie dynamique. Cette fascination, que le journaliste Ousmane Ndiaye a théorisée sous le nom de « Kagamephilie », repose sur l’idée qu’un développement autoritaire serait plus efficace qu’une démocratie lente et imparfaite. Mais les progrès de ce pays d’Afrique de l’Est ne viennent pas seulement de la poigne d’un leader. Ils reposent surtout sur des politiques publiques concrètes et efficaces dans des secteurs essentiels comme l’éducation, la santé, l’égalité entre femmes et hommes et le développement local.
Dans l’histoire récente de l’Afrique, les années 1970 et 1980 sont qualifiées de « décennies perdues ». La plupart des pays du continent vivaient alors sous des régimes militaires. Dans beaucoup de cas, cette période a été marquée par la répression politique, la mauvaise gestion économique et l’effondrement des espoirs nés des indépendances.
La transformation durable passe par l’éducation, l’esprit critique, l’accès équitable aux services publics, le renforcement des institutions, la transparence et l’inclusion citoyenne. Certains pays, comme le Cap-Vert, le Botswana ou les Seychelles, montrent qu’il est possible de conjuguer démocratie, stabilité et développement. Ils prouvent qu’une gouvernance fondée sur l’État de droit peut produire des résultats durables, même dans un environnement mondial compétitif et parfois hostile. L’Afrique a besoin de sa jeunesse. Pas seulement pour se souvenir des luttes passées, mais pour inventer les victoires de demain. Celles qui ne se contenteront pas de changer des visages au sommet des Etats, mais qui refonderont en profondeur les systèmes économiques, sociaux et politiques. Les slogans sont utiles pour éveiller les consciences. Mais c’est en conjuguant créativité, responsabilité et persévérance que les nouvelles générations pourront façonner un avenir où justice sociale, inclusion et développement durable ne seront plus des ambitions, mais la norme. L’enjeu est de construire, pas seulement de contester.
