Le 26 août 2025, l’Assemblée nationale du Sénégal a adopté plusieurs lois importantes : le projet de loi n°13/2025 instituant le statut et la protection des lanceurs d’alerte, et le projet de loi n°14/2025 relatif à l’accès à l’information. Avec la mise en place d’un cadre juridique qui protège ceux qui osent dénoncer les abus et garantit l’accès à l’information, le président Bassirou Diomaye Faye concrétise une promesse de campagne. Cette initiative est salutaire, en matière de transparence, de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption.
En 2016, dans la publication « Comment lutter contre la corruption », WATHI avait recommandé de promouvoir la formation de journalistes d’investigation et de mettre en place des cadres légaux pour la protection des journalistes et des lanceurs d’alerte. Presque dix ans plus tard, voir cette recommandation devenir réalité au Sénégal est une avancée importante qu’il faut reconnaître.
Jimmy Kande, directeur Afrique de l’Ouest de la Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte en Afrique, qui œuvre pour soutenir et protéger ces acteurs courageux à travers le continent, a qualifié ce moment d’historique pour la démocratie sénégalaise et pour toute l’Afrique. Le Sénégal devient ainsi le premier pays en Afrique subsaharienne francophone à prendre une décision concrète pour protéger celles et ceux qui choisissent de briser l’omerta face à la corruption.
Le Sénégal, comme la plupart des pays du continent, n’est pas épargné par la corruption et les délits financiers. Chaque scandale qui éclate rappelle les sommes colossales détournées et les fonds publics qui disparaissent, avec un impact direct sur des services essentiels tels que la santé, l’éducation ou les infrastructures. Pourtant, bien souvent, ceux qui détiennent l’information restent silencieux, par peur de perdre leur emploi, par crainte de menaces, ou tout simplement parce que les institutions ne leur offrent aucune garantie de protection.
La nouvelle loi sénégalaise change cette donne. Elle définit « le lanceur d’alerte comme une personne physique qui, dans le cadre de ses activités professionnelles, signale, communique ou divulgue de bonne foi des informations relatives à la commission ou à la tentative de commission d’actes portant sur un crime ou un délit financier, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation de violation affectant la gestion des finances tant dans le secteur public que privé». Le statut de lanceur d’alerte couvre non seulement la personne qui signale une infraction, mais aussi ceux qui l’assistent, ses proches exposés à des représailles et les entités juridiques qu’elle contrôle ou avec lesquelles elle est liée professionnellement. Les faits, informations et documents relatifs au secret de la défense nationale, au secret des délibérations judiciaires, au secret de l’enquête ou de l’instruction judiciaire, au secret médical ou au secret des relations entre l’avocat et son client et tout autre secret protégé par les lois ou règlements en vigueur sont exclus du champ de signalement, de communication ou de divulgation.
Pour encourager les dénonciations, la loi prévoit également la création d’un Fonds spécial de recouvrement des avoirs illicites, destiné à financer des programmes sociaux et à récompenser les lanceurs d’alerte à hauteur de 10 % des montants récupérés. Cette approche combine protection, incitation et transparence, offrant aux citoyens un cadre pour agir contre la corruption tout en contribuant au bien commun.
Dans une note critique sur le projet de loi relatif à la protection des lanceurs d’alerte (avant son adoption par le parlement) publiée le 08 août 2025, la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (Plaaf) souligne plusieurs insuffisances. La loi concentre son champ sur la corruption et les délits financiers, ce qui est évidemment essentiel mais l’intérêt général ne se limite pas à la gestion des finances publiques. La santé publique, l’environnement, les droits humains, la sécurité, l’éthique dans la vie politique et économique sont autant de domaines où les alertes sont vitales. Un médecin qui dénonce des pratiques dangereuses ou des faux médicaments, un ingénieur qui alerte sur une pollution massive, un fonctionnaire qui signale des violations graves des droits humains devraient bénéficier de la même protection. Selon la Plaaf, la loi ne couvre pas ces acteurs dont les signalements sont tout aussi essentiels pour l’intérêt général et le renforcement de la gouvernance.
La loi d’accès à l’information, votée le même jour, s’inscrit dans le même objectif d’accroître la transparence et d’améliorer la gouvernance publique. L’accès à l’information est un droit fondamental, et l’adoption de cette loi marque enfin une avancée concrète attendue depuis des années par les journalistes et les organisations de la société civile, qui réclamaient depuis longtemps un cadre légal garantissant le droit des citoyens à être informés. « Tout citoyen sénégalais ainsi que toute personne physique résidant légalement au Sénégal et toute personne morale régulièrement établie au Sénégal a le droit d’accéder à l’information générée ou détenue par assujettis.»
Les assujettis sont des personnes, organismes, des entités, structures qui génèrent l’information ou la déterminent. Cela concerne : l’ensemble des institutions de la République, les collectivités locales, les administrations, mais aussi les entreprises privées bénéficiant d’un soutien public ou exerçant une mission de service public. Certaines informations restent toutefois protégées, notamment le secret de la défense nationale, le secret médical, le secret commercial, les délibérations du gouvernement ou les instructions judiciaires en cours.
Le texte impose aux administrations de répondre dans un délai de huit jours, prolongeable à quinze jours, à la suite d’une simple requête écrite. Pour les personnes ne sachant ni lire ni écrire, une requête orale est également recevable. L’exercice de ce droit est par ailleurs gratuit. Seules les charges réelles liées à la reproduction ou à la transmission des informations peuvent être facturées. Le dispositif crée également une Commission nationale d’accès à l’information, une autorité administrative indépendante chargée de veiller à l’application effective du droit d’accès et de sanctionner les refus injustifiés. Les sanctions prévues vont de 500 000 à 10 millions de FCFA d’amende pour toute personne ou entité refusant sciemment de communiquer une information communicable.
Une loi peut être historique le jour de son adoption et inutile ensuite si elle n’est pas mise en pratique. Le fait de créer une commission nationale avec un mandat précis et des sanctions en cas de non respect par les administrations est prometteur parce que cela permet d’espérer une mise en œuvre effective de la loi).
Le Sénégal a ouvert la voie. Reste à savoir si le pouvoir actuel aura la volonté politique et la force institutionnelle de protéger réellement les lanceurs d’alerte et de garantir à ses citoyens un accès effectif à l’information. Car la démocratie ne vit pas de promesses. Elle repose sur des pratiques politiques concrètes qui traduisent la volonté de l’État de garantir la transparence dans la gestion publique.
WATHI a toujours préconisé un ensemble de mesures concrètes pour renforcer la lutte contre la corruption. Cela passe par un examen de la vulnérabilité des institutions publiques à la corruption afin de renforcer sur cette base la transparence des processus de prise de décision et l’efficacité des procédures administratives, financières et comptables. Il s’agit également de changer l’attitude des citoyens face à la corruption, grâce à des cours d’éducation civique et morale dans les programmes scolaires, à des séminaires réguliers sur l’éthique pour les fonctionnaires et à des campagnes de sensibilisation sur les conséquences économiques, sociales et politiques de la corruption.
Enfin, ces efforts ne peuvent réussir que si des institutions solides et vraiment indépendantes, comme les autorités anti-corruption et les Cours des comptes, veillent efficacement sur l’utilisation des ressources publiques. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre la création du nouvel office national de lutte contre la corruption, adoptée en même temps que les lois sur les lanceurs d’alerte et l’accès à l’information. Ces trois textes, pris ensemble, envoient le signal d’une volonté d’instaurer un cadre global où prévention, transparence et contrôle deviennent les piliers d’une lutte contre la corruption pleinement effective.
