Avant l’ouverture officielle de la 30ème Conférence des parties, la COP 30, le 10 novembre à Belém, au Brésil, Ignacio Lula da Silva, le président du plus peuplé et du plus vaste pays d’Amérique du Sud, a accueilli les 6 et 7 novembre ses homologues chefs d’État ou de gouvernement pour un sommet sur le climat. Dans un contexte international plutôt déprimant, quelques semaines après les déclarations ahurissantes du président Donald Trump sur la lutte contre le changement climatique décrite comme l’arnaque du siècle, à la tribune des Nations unies, le président Lula a essayé de remobiliser les dirigeants qui se soucient de l’état de la planète dans laquelle vivront les jeunes et les enfants d’aujourd’hui. Même si la question du climat est tout à fait actuelle, inscrite dans le présent, avec des conséquences concrètes sur la vie des êtres humains et sur la biodiversité, il reste partout difficile de l’ériger en priorité en matière d’investissements publics et privés.
Le président brésilien, homme de gauche à la carrière politique exceptionnelle, qui a un bilan incontestable en matière de politiques de réduction de la faim et de la pauvreté dans son pays, a appelé dans son discours à une sortie « juste » et « ordonnée » des énergies fossiles, reprenant l’engagement à sortir progressivement des énergies fossiles, adopté lors de la COP28 à Dubaï. De la part du Brésil qui est pourtant huitième producteur mondial de pétrole, et qui vient de lancer des explorations pétrolières à la lisière de l’Amazonie, l’affirmation de l’exigence d’une sortie des énergies fossiles est appréciable. Lula considère que « diriger une partie des bénéfices issus de l’exploitation pétrolière vers la transition énergétique reste une voie valable pour les pays en développement ».
Une des grandes annonces du sommet de Belém est celle de la création de la Facilité de financement des forêts tropicales (TFFF), un fonds inédit destiné à préserver les forêts tropicales. Le Brésil s’est engagé à verser un apport d’un milliard de dollars, tandis que 25 milliards sont attendus d’autres gouvernements « sponsors ». La Norvège, l’Indonésie, la France, le Portugal et l’Allemagne se sont déjà engagés à contribuer à ce fonds. Lula espère mobiliser ensuite 100 milliards de dollars supplémentaires auprès d’investisseurs privés. Cette facilité est une bonne nouvelle – théoriquement du moins – pour un pays qu’on pourrait qualifier de Brésil de l’Afrique, la République démocratique du Congo qui abrite le deuxième poumon de la planète, les forêts équatoriales du bassin du Congo qui stockent des milliards de tonnes de carbone.
La Chine représentée par son vice-Premier ministre, est à nouveau apparue comme une grande puissance responsable qui prend le changement climatique au sérieux, appelant au renforcement de la collaboration internationale dans le domaine des technologies et des industries vertes. Il a appelé à lever les barrières douanières et commerciales sur les « produits verts ». Évidemment, cela profiterait également beaucoup à la Chine qui est le leader mondial dans la production d’un grand nombre d’équipements pour l’énergie solaire et d’autres énergies renouvelables.
Si vous vous intéressez aux enjeux de cette COP pour l’Afrique et l’Europe en particulier, je recommande fortement le visionnage de la table ronde virtuelle « Que peut-on attendre de la COP30 à Belém ? » organisée par WATHI et l’Institut Delors le 2 octobre dernier dans le cadre de notre série « Regards croisés ». La directrice de l’Institut Delors, Sylvie Matelly et moi-même avions accueilli Bachir Ismaël Ouédraogo, ancien ministre de l’Energie et des mines du Burkina Faso et conseiller principal au Tony Blair Institute for Global Change, Mohamadou Fadel Diop, Conseiller recherche, politiques et innovation au sein de l’ONG internationale Oxfam, Geneviève Pons-Deladrière, Directrice d’Europe Jacques Delors, spécialiste des questions environnementales, et Thibaud Voïta, conseiller énergie à l’Institut Jacques Delors.
Les échanges ont été très francs et animés, exposant clairement l’ampleur des frustrations et des désillusions du côté des Africains en particulier. L’ancien ministre burkinabè, spécialiste de changements climatiques et de questions énergétiques, fut le plus incisif, dénonçant le business de la lutte contre le changement climatique, les promesses jamais tenues de financement de l’adaptation en Afrique, les exigences à l’égard des pays africains dont les besoins élémentaires en énergie, en eau, sont très loin d’être satisfaits et affirmant sa préférence pour les solutions locales concrètes aux défis posés par les changements climatiques. « Le coût de l’adaptation au changement climatique est souvent plus élevé pour nous : un kilowatt d’énergie solaire coûte trois fois plus cher en Afrique que dans les pays européens, alors que nous avons davantage de soleil ».
Fadel Diop a mis l’accent sur le lien explicite entre les inégalités économiques mondiales et l’injustice climatique : « Il existe une profonde inégalité dans la consommation d’énergie : les 1 % les plus riches consomment davantage que le reste de la population mondiale, alors que les pays pauvres subissent les conséquences… Même pour des technologies comme les véhicules électriques, une partie essentielle des matériaux, comme le cobalt, provient de pays africains, tandis que les profits vont aux multinationales. » Mais il estime aussi que malgré toutes les limites des COP et les critiques très nombreuses qu’on peut formuler à l’encontre de ces grandes messes déclaratives et coûteuses y compris pour le climat, il n’y a pas d’alternative à un cadre multilatéral comme celui des COP pour faire des petits pas dans la bonne direction.
C’est aussi la position de Geneviève Pons-Deladrière : « Les COP ne sont pas parfaites : il y a des émissions de CO₂ liées aux déplacements, des résultats qui déçoivent parfois, et des lobbys qui cherchent à freiner le progrès. Mais les COP restent des espaces essentiels pour faire avancer la coopération climatique et soutenir les pays les plus touchés par le changement climatique. Elles sont une occasion de se rencontrer, de se parler, et souvent, de progresser de façon inattendue ». Elle considère aussi que la grande évolution des COP sur la durée, c’est qu’elles ne sont plus seulement des rencontres entre États : elles sont devenues des espaces d’action pour tous les acteurs. En 1992 à Rio, la société civile était en marge, a-t-elle souligné, « aujourd’hui, elle est au cœur des COP : elle suit, elle interagit, elle influence. »
Thibaud Voïta, conseiller énergie à l’Institut Jacques Delors qui accompagne plusieurs pays dans la formulation de leurs politiques climatiques, a fait un point très utile sur le financement climatique souvent bien confus et très en-deçà des niveaux de ressources requis. « Le déficit de financement révèle aussi une inégalité fondamentale, a-t-il expliqué, l’Afrique bénéficie très peu de ces fonds, qui se dirigent en grande majorité vers des politiques d’atténuation plutôt que vers l’adaptation ». Il a aussi concrètement exposé les implications fort dommageables en termes d’inclusion de l’organisation de la COP 30 à Belém, où les capacités d’hébergement très limitées ont fait exploser le coût du logement et donc de la participation des délégués. Il y aura beaucoup moins de représentants de la société civile des pays les plus pauvres, dont les pays africains. La table ronde virtuelle est en libre accès sur les pages Youtube de l’Institut Delors et de WATHI.
