« Les conditions de travail des enseignants sont les conditions d’apprentissage des élèves. » Ce rappel de l’étude mondiale sur les enseignants publié par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) en 2024 et intitulé : Rapport mondial sur les enseignants : remédier aux pénuries d’enseignants et transformer la profession illustre parfaitement les enjeux auxquels sont confrontés les systèmes éducatifs en Afrique de l’Ouest. C’est autour de cette problématique essentielle que WATHI, en partenariat avec l’ambassade d’Irlande au Sénégal, a organisé le 26 juin 2025 une table ronde virtuelle sur le thème : « Comment améliorer les conditions de vie et de travail des enseignants en Afrique de l’Ouest ? » Les échanges ont réuni Abdoulaye Anne, professeur en sciences de l’éducation à l’Université Laval, au Canada, spécialiste des politiques éducatives et membre du comité scientifique de la Chaire UNESCO en politiques éducatives et profession enseignante ; Paul Gnelou, président du Réseau africain de campagne pour l’éducation pour tous (ANCEFA) et du Réseau ivoirien pour la promotion de l’éducation pour tous, enseignant et syndicaliste fort de plus de 30 ans d’expérience ; Alpha Amadou Bano Barry, sociologue, enseignant-chercheur à l’Université de Sonfonia à Conakry, ancien ministre de l’Éducation nationale et de l’Alphabétisation de Guinée de 2020 à 2021 ; Marie Odile Attanasso, économiste, enseignante-chercheure à l’Université d’Abomey-Calavi au Bénin, ancienne ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique de 2016 à 2019.
Tous ont souligné que, malgré des avancées significatives dans plusieurs pays, les enseignants vivent encore dans une grande précarité. Paul Gnelou a rappelé que de nombreux enseignants quittent chaque année la profession faute de conditions de vie décentes : « Tant que nos États ne considéreront pas l’éducation comme un véritable investissement, aucun impact durable ne pourra être atteint. »
Les rémunérations illustrent bien ces écarts : au Bénin, dans le primaire public, un enseignant gagne environ 135 000 FCFA et progresse avec le grade, mais dans le privé il descend dangereusement près du SMIG, fixé à 52 000 FCFA et dépasse rarement 80 000 FCFA. En Guinée, c’est l’inverse : les enseignants du privé peuvent gagner jusqu’à cinq fois plus que leurs collègues du public.
À cela s’ajoutent des conditions de travail difficiles. Dans les villes, les enseignants doivent faire face à des classes surchargées et à des infrastructures dégradées par les crises. En zone rurale, beaucoup de jeunes enseignants sont envoyés loin de leurs familles et vivent dans des logements précaires. Comme l’a rappelé Alpha Amadou Bano Barry : « Un enseignant n’a pas besoin de passer par une guerre pour subir un traumatisme. » L’absence d’accompagnement psychosocial pèse lourdement sur la santé mentale et la motivation des éducateurs.
Malgré ces difficultés, des exemples montrent qu’il est possible d’agir. Entre 2021 et 2023, la Côte d’Ivoire a procédé à une revalorisation des salaires. De son côté, le Burkina Faso a adopté un statut particulier en faveur des métiers de l’éducation. Quant à la Guinée, elle a intégré plusieurs milliers d’enseignants dans la fonction publique tout en supprimant plus de cinq mille « enseignants fictifs », ce qui lui a permis de redistribuer les économies réalisées aux personnels effectivement en poste.
Pour les panélistes, ces efforts restent insuffisants. Marie Odile Attanasso plaide pour que la formation, l’accompagnement et la supervision des enseignants deviennent une priorité absolue, en garantissant un salaire décent dès le recrutement, en prévoyant une progression claire et en motivant particulièrement ceux qui acceptent d’aller en zones reculées. Elle insiste qu’« un enseignant valorisé est un enseignant plus efficace ». Et à l’inverse, la négligence du métier compromet directement la qualité de l’apprentissage. Abdoulaye Anne, de son côté, insiste sur l’importance de la donnée : « Sans outils de suivi fiables, on ne peut pas anticiper les besoins ni planifier les carrières. » Pour lui, intégrer des modules de gestion des effectifs, du recrutement et de la formation est indispensable. En clair, la pénurie d’outils statistiques affaiblit tout le système éducatif.
Ces constats et recommandations s’inscrivent dans une réflexion plus large que WATHI mène depuis plusieurs années sur l’avenir des systèmes éducatifs en Afrique de l’Ouest. Dès 2016, WATHI avait publié un document intitulé Comment améliorer la qualité de l’enseignement primaire et secondaire dans les pays de la région ?. Ce document, que nous appelons Mataki, un terme qui signifie « mesures » ou « dispositions » en haoussa, la langue la plus parlée en Afrique de l’Ouest, synthétisait déjà des dizaines d’études, de rapports et d’articles sur la question, en en extrayant les analyses les plus pertinentes. Les échanges récents ne font que confirmer la pertinence de ces orientations : la valorisation du métier d’enseignant, l’investissement dans les formations initiale et continue, et la mise en place de politiques publiques stables et ambitieuses demeurent des leviers incontournables pour transformer durablement l’éducation dans notre région.
Ce webinaire a montré que la question des conditions de vie et de travail des enseignants reste l’un des enjeux les plus critiques pour l’avenir de l’éducation en Afrique de l’Ouest. Impossible de restituer ici toutes les interventions, mais l’intégralité des échanges est disponible sur la chaîne YouTube de WATHI.
Après avoir débattu, le 16 septembre dernier, des réalités et perspectives de l’enseignement supérieur en Afrique de l’Ouest, WATHI mettra en discussion, le jeudi 9 octobre prochain à l’occasion de la Journée mondiale des enseignants célébrée le 5 octobre de chaque année, la question du maintien des filles à l’école et des bonnes pratiques pour favoriser leur autonomisation et l’égalité. Comme toujours, l’inscription est libre et la participation ouverte à tous.
