« Il n’est pas très pertinent de définir les orientations stratégiques de l’Afrique en se basant sur ce que d’autres régions, comme les États-Unis, ont défini comme des « minéraux critiques ». L’Afrique doit repenser ce que signifie réellement le terme « critique » à partir de sa propre vision de développement. Un minéral n’est « critique » que par rapport aux priorités productives d’une société. » C’est ce qu’écrit Bright Simons, entrepreneur social, innovateur et analyste bien connu au Ghana, fondateur de mPedigree, dans un article très intéressant et fouillé intitulé « Critique pour qui ? Comment les experts ont bâclé la stratégie minière africaine », publié le 6 novembre dernier dans le magazine Africa Report. Il estime aussi que « pour l’Afrique, les ressources véritablement critiques sont celles qui alimentent l’industrialisation : les intrants sidérurgiques, les additifs pour ciment, les précurseurs de batteries et les minéraux fertilisants. Le cobalt et le platine sont importants, mais le fer, le cuivre, l’étain, la bauxite, le phosphate et le manganèse, matières premières du développement quotidien, le sont bien plus.
Il questionne et nuance aussi les données maintes fois répétées sur l’immensité des ressources minérales africaines et les implications pour les possibilités d’industrialisation sur la base de ces ressources. D’après ses calculs, un doublement uniforme de la production manufacturière africaine (qui ne représenterait alors que 4 % de la production mondiale, soit à peine plus que les 3 % des années 1970) ferait de la majorité des pays africains des importateurs nets de minéraux. Selon lui, seuls quelques pays africains sont bien placés pour devenir des pôles d’approvisionnement régionaux. Cela contraste fortement avec l’Europe du XIXe siècle, qui était une puissance de production des minéraux nécessaires à sa révolution industrielle.
Sur cet important sujet, la Banque africaine de développement a récemment publié une étude très riche, dont le titre original en anglais est «A Dozen Critical Minerals for Africa’s Inclusive Growth and Development » (Une douzaine de minéraux essentiels à la croissance et au développement inclusifs de l’Afrique, en français). La richesse minérale de l’Afrique représente un atout considérable susceptible de stimuler la croissance industrielle, mais une grande partie de son potentiel reste inexploité. De plus, une fois extraits, les minéraux et les métaux sont en grande partie exportés, avec une valeur ajoutée limitée sur le continent. L’Afrique reste très clairement spécialisée dans la phase d’extraction.
En raison de décennies de sous-investissement dans les études géologiques nationales en Afrique et de l’absence de mise en place et de maintien de géosciences intégrées, les véritables ressources naturelles de l’Afrique restent largement méconnues et nécessitent une évaluation géoscientifique systématique, explique le rapport. Les pays dépendent de fait des acteurs étrangers pour l’information sur leurs propres ressources. Cela limite naturellement la capacité des États africains à négocier des contrats qui leur permettraient de tirer réellement profit du potentiel transformateur de l’exploitation des ressources minérales.
L’Afrique détient 7 % des réserves mondiales de nickel, mais moins de 2 % de la capacité de raffinage ; 29 % des réserves de bauxite, mais moins de 1 % du raffinage de l’alumine qui permet de fabriquer ensuite l’aluminium. Elle fournit environ 64 % du minerai de manganèse mais a une production raffinée minimale. Dans le domaine de l’acier, le continent ne contribue qu’à hauteur de 4 % à la production mondiale, ce qui renforce sa dépendance vis-à-vis des importations et la perte de valeur ajoutée. Le continent reste donc marginal dans les étapes industrielles. La majorité des pays exportent des minerais primaires et réimportent ensuite à prix élevé les produits transformés cruciaux pour le développement économique.
La montée en puissance des batteries et des technologies vertes rend des minéraux comme le cobalt et le lithium extrêmement précieux, voire critiques pour les pays qui n’en disposent pas et qui doivent sécuriser leurs approvisionnements pour leurs industries. 70% de la production mondiale de cobalt provient de la République démocratique du Congo mais tout est exporté, notamment en Chine. Cela va probablement changer avec la politique des Etats-Unis de Donald Trump qui compte bien profiter de son rôle de faiseur de paix pour le moment virtuel entre la RDC et le Rwanda pour mettre fin à l’hégémonie chinoise dans l’accès aux ressources exceptionnelles du sous-sol congolais. Le lithium africain est aussi en pleine expansion avec des investissements au Zimbabwe, en Namibie ou au Mali, mais il s’agit là aussi essentiellement d’extraction brute. La Chine concentre entre 60% et 90% du raffinage mondial des métaux critiques.
Le document de la BAD soutient que l’Afrique peut convertir ses ressources minérales en une croissance diversifiée et à plus forte valeur ajoutée en se concentrant sur douze minéraux stratégiquement importants : le nickel, le cuivre, le cobalt, le lithium, la bauxite, le phosphate, les métaux du groupe platine (PGM), le minerai de fer, les terres rares, le manganèse, le graphite et le vanadium, mais cela suppose de combler les lacunes structurelles en matière d’énergie, de logistique, de technologie et de capitaux. Ces faiblesses sont pour le moment considérables.
La BAD et le Forum intergouvernemental sur les mines, les minéraux, les métaux et le développement durable ont conjointement élaboré des fiches d’information (Critical Mineral Insight) sur chacune des 12 matières premières identifiées comme prioritaires pour le continent. Ces fiches fournissent un aperçu complet de chaque matière première, détaillant ses propriétés, son taux de recyclage mondial, la demande prévue et la part de l’Afrique dans les activités d’extraction, de raffinage et d’exploration.
Parmi ces 12 minéraux couverts, certains, tels que le nickel, le cobalt et le lithium, figurent sur les listes de minéraux « critiques » établies par les principaux pays importateurs. Cependant, ce qui les rend critiques pour le développement industriel de l’Afrique, explique le rapport, c’est leur importance en tant que minéraux nécessaires au développement économique, notamment en tant que matières premières pour le secteur agricole et en tant qu’intrants clés pour la construction, la fabrication et les systèmes énergétiques à faible émission de carbone. Sur ce sujet comme sur tous les autres, il faut sortir des slogans et des affirmations générales et excessives sur la richesse minière de l’Afrique et mettre le doigt sur les obstacles à la valorisation effective de ces ressources qui sont très inégalement réparties sur le continent.
