Une fois de plus, il a fallu changer de sujet pour cette chronique au dernier moment. Le sujet des minéraux critiques et de manière générale des ressources minières des pays africains et des perspectives qu’elles ouvrent ou non pour l’industrialisation et la diversification des économies devra attendre la semaine prochaine. S’il n’y a pas entre-temps un nouveau coup d’État ou une nouvelle tentative de coup d’État dans un pays d’Afrique de l’Ouest.
La semaine dernière, ce fut la Guinée Bissau et le coup d’État aussi folklorique que réel et destructeur intervenu à quelques heures de l’annonce des résultats d’une élection présidentielle et de législatives. L’ancien président Umaru Cissoko Embalo, qui selon toute vraisemblance, a préféré remettre le pouvoir à ses amis hauts gradés militaires qu’à un rival politique en passe de gagner l’élection présidentielle, a rejoint le Maroc après un passage au Sénégal et en République du Congo. Il est sans doute parti pour y passer des jours paisibles, profitant de la tradition d’accueil du royaume chérifien.
Ce dimanche 7 décembre, tôt le matin, c’est le Bénin qui a pris le relais de la Guinée-Bissau, avec des informations sur une attaque de la résidence du président Patrice Talon puis une annonce à la télévision nationale par un groupe de militaires du renversement du président, donc d’un coup d’État. Si la Guinée-Bissau est réputée pour son instabilité politique avec des intrusions régulières des militaires sur la scène politique, le Bénin, marqué par une série de coups d’État réussis ou manqués pendant les douze premières années après l’indépendance proclamée en 1960, est plutôt devenu un des pays les plus stables sur le plan politique, d’abord sous un régime autoritaire avec parti unique, ensuite dans un système démocratique longtemps donné en exemple sur le continent, depuis la conférence nationale de février 1990.
Au moment où ces lignes sont écrites, tout indique que la tentative de coup de force contre le gouvernement légitime béninois a échoué et que le pays ne basculera pas, à la suite de cinq autres dans la région en cinq ans, dans un régime d’exception imposé par des hommes censés protéger l’intégrité du territoire, les institutions et les populations. Mais la situation est restée confuse pendant plusieurs heures et des tirs ont été entendus dans un quartier de la capitale économique, Cotonou. Des échanges de coups de feu en pleine ville ne peuvent que faire craindre des pertes en vies humaines aussi bien chez les militaires loyalistes, que chez les mutins et au sein des populations civiles que l’on imagine terrorisées dans un pays où la violence armée reste très rare, à l’exception des régions frontalières du nord affectées directement par l’activité des groupes terroristes installés au Burkina Faso, au Niger et au Nigeria, tous voisins. On ne sait donc pas grand-chose encore des contours et encore moins des raisons réelles des événements inattendus de ce dimanche 7 décembre. Il faut rester très prudent dans les analyses que l’on peut en faire à ce stade.
Ce que l’on peut affirmer avec certitude, c’est que quelles que soient les motivations réelles des militaires à l’origine de cette tentative avortée de renversement du pouvoir en place, à quatre mois d’une élection présidentielle et du départ prévu du président Talon, les événements du 7 décembre portent un coup de massue à la réputation de stabilité politique du Bénin et à celle, plus récente, d’une gouvernance financière, économique et publique sous le président Talon perçue comme remarquable et audacieuse par nombre d’observateurs étrangers, y compris dans les cercles des investisseurs internationaux de plus en plus intéressés par les opportunités économiques dans un Bénin qui serait géré comme une entreprise avec pragmatisme et focalisation sur les résultats.
Les signes discrets d’une fragilisation des institutions notamment par différentes formes de corruption politique et de laxisme dans la gestion des affaires publiques, se sont en réalité accumulés depuis au moins deux décennies, avant de devenir explicites au cours des dix dernières années, marquées par des tensions puis des violences électorales et par des réformes institutionnelles qui ont complètement chamboulé le champ politique et remis en cause le principe de la recherche d’un large consensus national sur les règles du jeu.
La toute récente révision significative de la constitution par un vote à l’assemblée nationale, avec un degré de communication préalable sur les changements et de débat public à peu près inexistant, constitue l’illustration sans doute la plus aboutie de la logique qui s’est imposée sous la présidence Talon : celle du choix assumé d’inventer une « nouvelle démocratie à la béninoise » qui au nom de l’impératif du développement économique, se libérerait des contraintes institutionnelles, politiques et citoyennes qu’imposent normalement les règles de la démocratie et de l’état de droit. Le 15 novembre dernier, juste après le vote de la constitution modifiée par l’Assemblée nationale, qui prévoit entre autres un concept tout à fait étonnant de « trêve politique », de fait une interdiction de toute véritable opposition, pendant six ans sur un mandat porté de cinq à sept ans, j’avais publié un texte titré « Une révision constitutionnelle au forceps au Bénin : de la faillite morale à l’effondrement ».
Il faut évidemment se garder d’établir un lien direct entre le contexte politique et une tentative de coup d’État qui pourrait être le résultat d’alliances circonstancielles insoupçonnables entre des acteurs internes et des acteurs externes ayant à un moment précis des intérêts convergents. Le contexte n’agit pas. Ce sont des êtres humains qui prennent des décisions parfois très graves et qui passent à l’action. Mais ils le font dans un contexte donné qui fournit plus ou moins facilement des incitations, des arguments et des moyens mobilisables pour exécuter un coup de force. Toutes choses égales par ailleurs, comme le disent les économistes, un contexte de tensions politiques et sociales, de perception d’injustices criardes et d’exclusion, d’accaparement de tous les leviers du pouvoir par un groupe très restreint, rend un pays plus vulnérable aux chocs sécuritaires qu’un autre.
Alors que le Bénin fait face aux incursions meurtrières des groupes armés terroristes sahéliens dans les régions frontalières du nord, les derniers événements illustrent des fractures graves au sein de l’appareil sécuritaire et ne feront que les approfondir. La perspective des élections communales, législatives et présidentielle au cours du premier trimestre 2026, sur la base de règles électorales controversées, induit des risques supplémentaires pour la cohésion nationale. Presque partout dans la région, du Sahel aux pays côtiers, le piège de la suffisance est en train de se refermer sur les dirigeants qui n’écoutent personne, et sur les espoirs d’un avenir de paix, de sérénité et d’insouciance pour les populations.
