Au Bénin, l’actualité politique est marquée par un geste qui retient l’attention dans le paysage ouest-africain, et même africain : le président Patrice Talon a officiellement désigné son dauphin pour la présidentielle d’avril 2026. Le choix s’est porté sur Romuald Wadagni, ministre d’État chargé de l’Économie et des Finances, qui portera les couleurs des deux partis soutenant le chef de l’État, l’Union Progressiste le Renouveau (UPR) et le Bloc Républicain (BR). Le duo présidentiel formé par Wadagni et sa colistière doit être investi officiellement le 4 octobre prochain.
En annonçant qu’il ne briguera pas de troisième mandat et qu’il quittera le pouvoir au terme de ses deux mandats constitutionnels de cinq ans, Patrice Talon confirme qu’il ne cherchera pas à modifier les règles du jeu pour se maintenir. Cette décision le distingue dans un contexte régional où la tentation du pouvoir à vie demeure forte. Certes, l’Afrique de l’Ouest a connu plusieurs alternances politiques démocratiques au cours des dernières décennies, mais la tendance récente est moins favorable : d’un côté, la montée des régimes militaires a interrompu le processus électoral dans plusieurs pays ; de l’autre, certains dirigeants civils multiplient les stratagèmes pour prolonger leur règne.
Ainsi, en Côte d’Ivoire, le président Alassane Ouattara sera candidat à un quatrième mandat le 25 octobre prochain, après avoir déjà contourné la limitation des mandats par un changement de constitution. Au Cameroun, le président Paul Biya, au pouvoir depuis plus de quarante ans, brigue un huitième mandat à plus de 90 ans. De tels exemples aident à comprendre les réactions positives qui ont suivi l’annonce du successeur de Patrice Talon.
Mais si cette annonce suscite l’admiration de certains, le climat préélectoral au Bénin demeure incertain, notamment en raison des réformes controversées du code électoral. C’est d’ailleurs sur ce sujet que WATHI avait organisé une table ronde virtuelle l’année dernière, l’occasion d’examiner les réformes du cadre électoral et des réformes institutionnelles de manière générale mises en œuvre sous la présidence de Patrice Talon. A l’issue des interventions de nos invités, Malick Gomina, député issu d’un des deux partis soutenant le président Talon à l’Assemblée nationale du Bénin, Nathaniel Hinnougnon Kitti, enseignant-chercheur en science politique à l’université d’Abomey-Calavi, Maryse Glèlè Ahanhanzo, à l’époque coordinatrice nationale de WANEP-Bénin, réseau de la société civile pour l’édification de la paix en Afrique de l’Ouest et Expédit Ologou, Président du Civic Academy for Africa’s future (CIAAF), un think tank béninois, la principale recommandation était la relecture du code électoral perçue comme un facteur de crise potentiellement grave.
Le code électoral, modifié en mars 2024 après un premier texte adopté en 2019, introduit des restrictions beaucoup plus sévères aussi bien pour les candidats à la présidentielle que pour l’accès aux sièges de députés. Désormais, les duos de candidats à l’élection présidentielle doivent obtenir le parrainage d’au moins 15 % des députés et/ou maires, répartis dans 3/5 des circonscriptions électorales législatives. Concrètement, le collège des parrains potentiels est composé de 109 députés et de 77 maires représentant chacune des communes du pays, soit un total de 186 élus. Le seuil de 15% correspond donc à 28 signatures nécessaires pour valider une candidature.
La loi va plus loin : un député ou un maire ne pourra parrainer qu’un candidat issu du parti sur la liste duquel il a été élu. Le parrainage d’un candidat d’un autre parti ne sera possible qu’en cas d’accord de gouvernance formel conclu avant l’élection. Dans ces conditions, le maximum de parrainages mobilisables par le principal parti d’opposition, « Les Démocrates », est de 28, puisque le parti, ayant boycotté les élections communales de mai 2020, ne dispose d’aucun maire. Or ces 28 députés représentent précisément le seuil exigé pour qu’un duo puisse se présenter. Autrement dit, l’opposition se trouve dans une situation d’une extrême fragilité : la moindre défection ou pression sur un seul député suffit à compromettre la possibilité même, pour le premier parti d’opposition, de présenter un candidat à l’élection présidentielle.
Pour les élections législatives, le seuil fixé est particulièrement élevé. Désormais, un parti ne pourra obtenir un seul siège de député que si ses listes récoltent au moins 20 % des suffrages exprimés dans chacune des 24 circonscriptions électorales. Une exigence inédite à l’échelle mondiale, selon plusieurs observateurs. Déjà, lorsque la barre était fixée à 10 % au niveau national, seuls trois partis avaient réussi à entrer à l’Assemblée nationale. « Aucun parti n’est certain de remplir ces conditions », a reconnu le président Patrice Talon lui-même lors d’une rencontre avec la jeunesse béninoise, le 28 juillet 2025. Défendant la réforme, il affirme vouloir contraindre les acteurs politiques à l’unité : « Je veux vous forcer à travailler ensemble. Vous voulez faire la politique ? Travaillez ensemble, c’est tout. » Et de mettre en garde : « Si on touche à ça, les partis vont exploser. Chacun fera son chemin de son côté. Si on avait modifié cette règle, Les Démocrates seraient aujourd’hui divisés en deux ou trois factions. C’est pareil pour le BR et l’UPR. Avec cette loi, vous êtes ensemble. Si vous vous divisez, vous êtes morts. »
Toutefois, la loi prévoit une soupape : des partis qui craignent de ne pas franchir seuls la barre des 20 % peuvent décider de se regrouper en coalition avant le scrutin. À condition qu’un accord formel de gouvernance soit déposé à la Commission électorale nationale autonome (CENA), leurs voix peuvent alors être additionnées. Concrètement, des formations ayant obtenu chacune au moins 10 % des suffrages au plan national peuvent cumuler leurs résultats afin d’atteindre la barre fatidique des 20%.
Sans surprise, l’analyse de Guy Dossou Mitokpè, secrétaire national à la communication du principal parti d’opposition « Les Démocrates », tranche nettement avec celle de la majorité présidentielle. Selon lui, en révisant le code électoral et en modifiant les conditions d’éligibilité à l’élection présidentielle, les députés de la mouvance ont clairement affiché leur volonté d’exclure son parti du prochain parlement et de l’empêcher de concourir à la présidentielle. S’exprimant devant la presse le 5 septembre dernier, il a dénoncé des « manœuvres iniques » du pouvoir, visant à pousser certains députés de l’opposition à démissionner de leur formation, à abandonner leur siège à l’Assemblée nationale, ou encore à renier leur propre signature apposée sur les formulaires de parrainage. Une stratégie qui, selon lui, n’a d’autre objectif que d’écarter le parti « Les Démocrates » de l’élection présidentielle de 2026.
Au-delà de cette dénonciation, la possibilité offerte par la loi de contourner partiellement la barrière des 20 % dans chacune des 24 circonscriptions à travers des accords de coalition parlementaire pose un défi de taille. Elle suppose que des partis qui, par nature, incarnent des visions idéologiques, des programmes et parfois des bases sociopolitiques distincts, s’entendent sur un accord de gouvernance avant même le scrutin.
Cette logique revient à demander aux principales formations d’opposition, de s’unir artificiellement pour espérer exister dans l’arène électorale. Plus encore, elle implique que ces partis puissent être amenés à rechercher des accords avec certaines forces de la majorité présidentielle, dont ils combattent les idéaux dans le jeu démocratique. En pratique, cela peut fragiliser leur crédibilité politique : comment convaincre les électeurs de la pertinence d’un projet si la coalition repose davantage sur une contrainte juridique que sur une convergence réelle de programmes ?
En cherchant à forcer la main aux partis pour qu’ils « travaillent ensemble », la structuration du paysage politique autour de quelques grandes formations, si elle clarifie le jeu, risque de faire émerger des coalitions fragiles et d’appauvrir le débat démocratique. Cette dynamique s’inscrit toutefois dans un contexte plus large : les réformes politiques menées ces dernières années ont réduit significativement le nombre de partis, passé de plus de 200 à une dizaine. La dernière modification du Code électoral a été adoptée par les députés de la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, à la suite d’une décision de la Cour constitutionnelle invitant le Parlement à corriger certaines dispositions. Mais les élus sont allés bien au-delà de cette instruction, inscrivant de nouvelles contraintes dans le texte. Officiellement, l’objectif affiché était de mettre fin à la fragmentation excessive de l’espace partisan et de renforcer la lisibilité de l’offre politique.
Cette justification rappelle toutefois le précédent des législatives de 2019 : à l’époque, un nouveau Code électoral et une nouvelle Charte des partis, votés à l’initiative des députés du pouvoir, avaient empêché l’opposition de participer au scrutin, faute d’avoir pu satisfaire dans les délais aux nouvelles exigences administratives. Ces élections avaient abouti à une Assemblée nationale composée uniquement de députés de la mouvance présidentielle, une situation inédite qui avait suscité de vives contestations, des violences post-électorales et un profond malaise démocratique.
À moins de six mois du scrutin législatif et communal prévu le 11 janvier 2026, les espoirs d’une révision du code électoral apparaissent désormais très limités. La législation régionale, en particulier le Protocole additionnel de la CEDEAO de 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance, interdit toute modification des règles du jeu électoral dans les six mois qui précèdent un scrutin, sauf si un consensus exceptionnel et largement partagé entre les acteurs politiques l’imposait. Théoriquement, cette clause ouvre encore une fenêtre à un dialogue national qui permettrait d’opérer certains réaménagements nécessaires. Mais au regard du climat de méfiance et de polarisation actuel, il semble difficile d’imaginer un tel scénario.
Le calendrier électoral adopté par la Commission électorale nationale autonome (CENA) précise que le double scrutin législatif et communal du 11 janvier 2026 sera suivi trois mois plus tard, le 12 avril 2026, par le premier tour de l’élection présidentielle. L’enjeu, désormais, réside dans la préparation et l’adaptation des partis politiques aux règles en vigueur dans un contexte où le départ annoncé du président sortant et la désignation d’un candidat de la mouvance présidentielle plusieurs mois avant le scrutin ne mettent pas fin aux interrogations sur le bilan des nombreuses réformes institutionnelles et politiques mises en œuvre au cours des dernières années.
