Jean Martin Leoba Dourandji
En janvier dernier, alors que le nouveau gouvernement entrait en fonction, Succès Masra le Premier Ministre pour composer son cabinet, de quelques dizaines de membres, a lancé une campagne de recrutement inédite. En une semaine, plus de 10 000 candidatures sont enregistrées. Quelques jours plus tard, une consultation sur les priorités du nouveau gouvernement est lancée. Il ressort de ce vote en ligne, que la question de l’emploi, vient en deuxième position (14%) des votes derrière l’éducation (19%) qui est classée première priorité.
Ces deux faits traduisent en réalité une situation bien difficile des jeunes. Une situation de chômage permanent de cette tranche majoritaire de la population, dans un pays dominé par la fonction publique, l’entrepreneuriat de subsistance et où le secteur privé est embryonnaire. Aussi, pour le chef du gouvernement qui a toujours exprimé son désir d’un Tchad sur « ses deux jambes, économique et sécuritaire », l’équation n’est pas aisée.
Il doit, à travers un difficile arbitrage, amener son gouvernement à allouer plus de ressources aux secteurs sociaux d’autant plus que 60% de diplômés se retrouvent aujourd’hui au chômage traduisant un énorme gâchis de l’investissement dans l’éducation. Avec une croissance démographique de 3,5% par an et quelques 4,6 millions de diplômés d’ici 2030, la question de l’emploi doit impérativement figurer au rang de priorité.
La responsabilité de l’État
La célèbre phrase de John Fitzgerald Kennedy, « Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays » prononcée le 20 janvier 1961 lors de son discours d’investiture est restée mémorable. Cinquante-cinq ans plus tard, elle a eu une résonance particulière au Tchad lorsqu’à la suite des tensions de trésorerie consécutive à la chute des prix du baril, les autorités ont décrété plusieurs mesures d’austérité. Parmi celles-ci, le gel des recrutements à la fonction publique jusque-là principal employeur du pays. Mais quelle alternative proposait donc l’État pour les jeunes ?
Dans le cadre de la politique nationale de l’emploi, l’État a créé l’Office national de la promotion de l’emploi (ONAPE) chargé de promouvoir l’employabilité des jeunes. Il a aussi été créé, l’Office national d’appui à la jeunesse et aux sports (ONAJES). Cette dernière structure, atone, bureautique n’a pas d’impact et les demandes de financement n’ont généralement pas de suite. Au mieux, il faut patienter longtemps parfois allant jusqu’à 5 ans selon certains usagers! Aussi, l’État a-t-il appelé à la promotion de l’entrepreneuriat. Les projets mis en place dans ce sens se sont révélés malheureusement inefficaces pour la plupart.
Dans le cadre de la politique nationale de l’emploi, l’État a créé l’Office national de la promotion de l’emploi (ONAPE) chargé de promouvoir l’employabilité des jeunes. Il a aussi été créé, l’Office national d’appui à la jeunesse et aux sports (ONAJES)
C’est le cas par exemple du fonds de garantie de 30 milliards de francs CFA mis en place pour faciliter l’accès au financement dont la gestion manque de transparence. Un autre exemple du gâchis, c’est l’initiative de 50 000 emplois lancée en grande pompe en 2022 et depuis lors, l’on ignore les retombées. Quel bilan dressé aujourd’hui de ces grandes initiatives ?
Il est grand temps de réaliser un audit sérieux de la gestion de ces différents fonds créés pour la jeunesse et qui n’ont eu guère de résultats. Si beaucoup de jeunes exercent dans l’entrepreneuriat de subsistance, c’est aussi parce que le climat d’affaires est très peu favorable. Manque d’accompagnement, réglementations lourdes, etc… et ces conditions-là, c’est normalement à l’État de les créer.
Les limites de la fonction publique
Comme dans beaucoup de pays en développement, au Tchad aussi, l’État à travers la fonction publique demeure le principal pourvoyeur d’emplois. Cependant, depuis bientôt une décennie, les recrutements y sont très limités faisant dire à un ancien ministre de tutelle que la fonction publique est « saturée ». Vrai ou faux ? Une chose est certaine, désormais, être intégré à la fonction publique relève du quasi-miracle. Si près de 5000 recrutements ont été effectués en 2022, des dizaines de milliers de jeunes attendent toujours. Alors que sur la même période, il a été annoncé un renforcement de l’armée qui devrait passer de 35 000 à 60 000 hommes soit 25 000 recrues en une seule année !
Le désespoir et le sentiment de stagnation voire de régression chez les jeunes diplômés a poussé ces derniers à exprimer leur ras-le-bol souvent brutalement réprimé par les forces de l’ordre.
Si l’on a le sentiment que la fonction publique tchadienne est saturée, c’est parce qu’il y a peu d’investissement dans les secteurs sociaux. Point n’est besoin de rappeler que ce soit dans le secteur de la santé, de l’éducation ou des infrastructures, les besoins sont énormes. Et pour réduire l’écart avec les pays pairs ou améliorer les indicateurs socio-économiques, il va falloir opérer des recrutements.
Il advient qu’en vérité, la fonction publique tchadienne n’a pas atteint ses limites « naturelles » mais est plutôt truffée d’agents non qualifiés (sans diplômes, illettrés, fictifs,…) et le sous-investissement de l’État laisse croire à une saturation.
Les capacités limitées de l’économie nationale
Chaque année, des milliers de jeunes tchadiens terminent leurs études. Si la fonction publique, disions-nous a montré ses limites à recruter massivement, du côté du privé (ONG et entreprises), il ne faut pas espérer mieux. En 2015, date du dernier recensement général des entreprises, celui-ci faisait état de 30 761 entreprises installées au Tchad pour une population de plus de 14 millions à l’époque. Ce qui est naturellement insuffisant, le secteur privé étant peu développé pour diverses raisons. Toutes choses égales par ailleurs, il y a donc peu d’emplois créés.
Les secteurs importants tels que l’agriculture et l’élevage qui occupent 80% des Tchadiens et dont le pays dispose des avantages comparatifs sont peu modernisés laissant un vide. Le moteur de l’économie étant aujourd’hui le pétrole qui assure 85% des exportations du Tchad. Or, peu de Tchadiens sont formés au métier du secteur. Cette dépendance impacte aussi négativement le reste de l’économie nationale la rendant vulnérable aux fluctuations des prix du baril sur les marchés internationaux.
Le Tchad est en période électorale avec en perspective, l’élection de nouveaux dirigeants. Quel que soit le vainqueur de l’élection présidentielle à venir, la future administration doit mener une lutte contre le chômage des jeunes et des femmes, tranche majoritaire de la population
Ce qui en cas de chute, compte tenu donc de son importance, oblige les autorités à prendre des mesures fortes allant jusqu’à des licenciements et au gel des recrutements. Pour éviter de tels cas, le gouvernement doit diversifier l’économie nationale. Ceci à travers des mesures d’assainissement du climat d’affaires ou encore des mesures ciblées, par exemple de soutien à l’entrepreneuriat à travers notamment, la mise en place d’incubateurs ou l’assouplissement de la législation.
Au-delà des discours, que faire ?
Théoriquement, les jeunes sont au cœur des missions de plusieurs ministères. Ce qui n’a toutefois pas atténué leurs difficultés au quotidien. Beaucoup fondent de grandes attentes sur le gouvernement. Ceci, du fait, vraisemblablement, que le chef du gouvernement n’est autre que Succès Masra, un jeune économiste qui a bâti sa carrière politique sur un séduisant discours de rupture.
Le Tchad est en période électorale avec en perspective, l’élection de nouveaux dirigeants. Quel que soit le vainqueur de l’élection présidentielle à venir, la future administration doit mener une lutte contre le chômage des jeunes et des femmes, tranche majoritaire de la population. Dans ce sens, nous préconisons :
- La création d’une banque des PME pour palier le sempiternel problème de financement. Ceci permettra d’une part, de démocratiser l’accès au financement de départ, et d’autre part d’éviter les problèmes de gestion des fonds et initiatives dédiés à l’entrepreneuriat.
- Investir ou attirer des IDE dans les secteurs non pétroliers. Ce qui permettra d’offrir des emplois aux jeunes dans la mesure où tous les jeunes ne peuvent pas devenir entrepreneur.
- Soutenir la formation professionnelle. L’apprentissage d’un métier permet plus facilement de se mettre à son propre compte qu’une formation théorique. Il est aussi important d’encourager la reconversion des jeunes.
- À long terme, réaliser un ambitieux programme de réforme de l’éducation nationale. Cette réforme devra amener des disciplines abordant l’enseignement de l’information et de la culture d’entreprise notamment qui sont plus pratiques. Car comme l’a si bien dit Henry Ford « La compétitivité d’un pays ne commence pas dans les usines ou dans les industries. Elle commence à l’école ».
Crédit photo : linvestigateurafricain.tg
Dourandji Jean Martin Leoba est un économiste et un entrepreneur tchadien diplômé des universités Adam Barka d’Abéché et de Yaoundé II. Anciennement employé de la microfinance dans son pays, il est actuellement en stage au Nkafu Policy Institute à Yaoundé.