Ansuiffat Aboubacar
Le 26 février 2022, l’Union des Comores recevait le président Macky Sall pour une visite officielle durant laquelle furent signés huit accords bilatéraux. Alors que ni la géographie, ni la culture encore moins la langue ne semblent lier ces deux pays, les Comores et le Sénégal entretiennent en réalité une relation fraternelle depuis près d’un demi-siècle.
Les îles de la Lune : plongée au cœur de l’Océan Indien
La légende raconte que dans un archipel situé au nord du canal du Mozambique, au nord-est de Madagascar, la vision de la lune était si belle que les marchands arabes venus s’y installer l’auraient surnommé « Djuzur Al Qamar » (جزر القمر), en français « les îles de la Lune », ou « les Comores ». Les linguistes pensent plutôt que l’archipel tiendrait son titre de l’ancien nom arabe de Madagascar « Al Qumr ». Soit, la légende méritait d’être racontée.
Les Comores est un pays d’Afrique australe comptant environ 888 000 habitants et composé de quatre îles. La première, la Grande-Comores, aussi appelée Ngazidja en langue comorienne (shiKomori), comporte la capitale économique et politique du pays, à savoir Moroni. L’article 6 de la Constitution désigne également les îles de Mohéli (Mwali), Anjouan (Nzwani) et Mayotte (Maoré) comme faisant partie de l’Union des Comores, bien que le peuple mahorais ait décidé à l’occasion de multiples référendums de rester sous administration française. L’économie du pays est essentiellement basée sur l’agriculture, notamment l’exportation de vanille, d’ylang-ylang et de clou de girofle, ce qui élève son PIB à environ 1,33 milliards de dollars.
Une des particularités du régime politique comorien est son système de présidence « tournante ». En effet, selon l’article 52 de la Constitution « chaque île, par le candidat élu, assure la présidence de l’Union pour un mandat de cinq (5) ans renouvelable une fois
Les premiers habitants des Comores sont vraisemblablement d’origine malgache et swahili, d’où les fortes similitudes avec les cultures et les langues des pays voisins. Viennent s’établir ensuite les Arabes et les Perses qui organisent le pays en sultanat et propage l’Islam sunnite et chaféite dans l’ensemble des îles à partir du XVe siècle.
En 1841, c’est d’abord Mayotte qui passe sous la coupe des colons français après que son sultan, Adrian Souli, décida de vendre l’île afin de la protéger des guerres incessantes. En effet, le pays était victime de razzias par les pirates malgaches, ce qui a poussé la quasi-totalité des habitants à déserter l’île.
Par la suite, les Européens et plus particulièrement les Français, s’installèrent peu à peu sur les trois autres îles. Ils acquirent des terres, des esclaves, font fortune et finissent par mettre les Comores sous protectorat en 1886. En 1892, les Comores intègre la colonie de « Mayotte et dépendances ». En 1974 après plusieurs décennies de colonisation et de changement de statut répétitif, les Comoriens se prononcent lors d’un référendum : 95% de l’ensemble du peuple souhaitent l’indépendance, quant à Mayotte, 65% de sa population souhaitent rester française. C’est alors le 6 juillet 1975 que le pays devient officiellement indépendant, à l’exception de Mayotte.
Aujourd’hui l’Union des Comores est « une République souveraine et unitaire », établissant l’Islam comme religion d’État. Une des particularités du régime politique comorien est son système de présidence « tournante ». En effet, selon l’article 52 de la Constitution « chaque île, par le candidat élu, assure la présidence de l’Union pour un mandat de cinq (5) ans renouvelable une fois.
L’économie du pays est essentiellement basée sur l’agriculture, notamment l’exportation de vanille, d’ylang-ylang et de clou de girofle
Selon l’île où échoit la tournante, donc, tout citoyen en étant issue, où y ayant vécu au moins dix ans avant l’élection, peut présenter sa candidature. En ce qui concerne le pouvoir législatif, les Comores disposent d’un Parlement composé d’une chambre, l’Assemblée, qui rassemble à la fois « des membres élus dans des circonscriptions électorales nationales » et d’autres représentant la diaspora comorienne.
La naissance d’une coopération forte avec le Sénégal
Le premier contact entre les deux nations s’est établi dans le contexte de la colonisation. D’abord compagnons de guerre pour le corps militaire des tirailleurs sénégalais pendant la conquête de Madagascar et les deux guerres mondiales, c’est à partir de 1946 qu’un lien politique et diplomatique se créa entre le Sénégal et les Comores. En effet, cette année-là est fondée l’Union française qui intègre les départements et territoires d’outre-mer à la République française, elle accorde également la citoyenneté française à leurs habitants ce qui leur permet d’élire leurs représentants au Parlement.
Ainsi, le député comorien Saïd Mohamed Cheikh et les députés sénégalais Léopold Sédar Senghor et Lamine Gueye se lieront d’amitié et travailleront ensemble pour faire valoir les droits des populations des colonies.
A l’heure de l’indépendance comorienne, Leopold Sédar Senghor, alors président de la République Sénégalaise, sera reçu par son homologue comorien Ali Soilih dans l’archipel pour une visite historique. En effet, il sera le premier chef d’État à fouler le sol des Comores indépendants en 1976.
Les Européens et plus particulièrement les Français, s’installèrent peu à peu sur les trois autres îles. Ils acquirent des terres, des esclaves, font fortune et finissent par mettre les Comores sous protectorat en 1886
Le Sénégal est d’ailleurs l’un des premiers pays à reconnaître les Comores comme étant un état indépendant. Cette visite sera l’occasion pour les deux pays de signer leurs premiers accords de coopération. Le premier porte sur la coopération en matière diplomatique et consulaire, et vise simplement à la nomination des ambassadeurs de chacun des pays.
Le second porte sur la coopération technique en matière de personnel. En effet, le Sénégal s’est porté volontaire pour envoyer des enseignants, des magistrats et des médecins aux Comores, alors que le pays souffrait d’un manque de personnel dû au départ des coopérants français.
A la fin des années 1970 alors que les frontières françaises se ferment, les Comoriens doivent trouver de nouvelles destinations pour effectuer leurs études. C’est donc au Sénégal, entre autres, que vont s’établir en masse les étudiants comoriens . Ce sont maintenant des liens académiques qui lient les deux pays, qui seront renforcés à partir des années 2000 par des liens économiques et culturels. « La continuité de l’histoire, entretenir une veille et solide tradition d’amitié fraternelle »
Une relation de coopération renforcée au fil des années
Le Sénégal a joué un grand rôle dans l’indépendance et l’émergence des Comores, dont le peuple ne cesse d’être reconnaissant. Encore aujourd’hui, c’est vers le Sénégal que se tourne nombre d’étudiants comoriens, ayant établi une forte communauté notamment à Dakar.
Cette année, afin de répondre davantage aux besoins de cette diaspora, et afin de renforcer la coopération entre les deux pays, huit accords ont été signés à Moroni. En effet, le Président Macky Sall s’est rendu le 26 février dernier dans « le pays de la Lune », où il a été chaleureusement accueilli autant par les personnalités politiques de l’archipel que par les habitants.
Le Sénégal est d’ailleurs l’un des premiers pays à reconnaître les Comores comme étant un état indépendant
C’était d’ailleurs sa première visite officielle à l’étranger depuis sa prise de fonction de la présidence de l’Union Africaine, dont son homologue, le Président des Comores, Azali Assumani, en a exprimé sa gratitude lors d’une conférence de presse.
Huit accords ont été signés par les deux chefs d’Etat à Moroni. Ces accords portent notamment sur un mémorandum d’entente dans le domaine de la formation des diplomates, un protocole d’Accord sur la coopération culturelle ou encore un Mémorandum d’Entente de coopération entre l’Agence de la promotion des investissements et des grands travaux du Sénégal (APIX-SA) et l’Agence nationale pour la promotion des investissements des Comores (ANPI).
Ces accords portent essentiellement sur l’éducation, avec comme projet central la création d’une faculté de médecine à Moroni, mais aussi sur la question des infrastructures sanitaires. Une discussion sur un plan de développement de la chirurgie est d’ailleurs en cours entre les ministères de la santé des deux pays.
Cette visite, s’est achevée par l’inauguration de l’Avenue du Sénégal à Moroni, signe de reconnaissance et de fraternité, d’autant qu’elle se situe en un lieu stratégique du Plan Comores Emergent (PCE). Une dernière allocution de Macky Sall devant l’Assemblée de l’Union des Comores a eu lieu par la suite, dans laquelle il lance un message d’espoir et de solidarité, pour une coopération bilatérale et continentale plus forte.
Photo: alwatwan.net
Ansuiffat Aboubacar est étudiante en Master d’Economie internationale. Intéressée par le développement économique et les enjeux éducatifs dans les pays émergents, elle effectue un stage à WATHI en tant que chargée de recherche.