Aïssatou Diallo Camara
J’ai été longtemps préoccupée, passionnée par la problématique du développement et je me suis toujours posée des questions personnelles. Comment participer à l’épanouissement des communautés défavorisées ? Comment participer à l’émergence d’une Afrique marquée par des années de colonisation, par une situation de pauvreté parfois endémique dans certaines régions ?
Les années passant, avec le recul, je me suis alors posée la question à savoir pourquoi l’Afrique n’est toujours pas sortie de la spirale de pauvreté quand bien même des efforts de développement sont faits de part et d’autre, grâce aux initiatives d’africains et des partenaires techniques et financiers du continent.
En effet, ce questionnement m’amène à étudier l’impact véritable des projets de développement en Afrique après plusieurs années d‘intervention. Pour ce faire, je me suis permis d’effectuer quelques recherches sur la question pour être à même d’évaluer à sa juste valeur l’intervention des bailleurs de fonds. Les recherches ont été restreintes à la partie sub-saharienne de l’Afrique.
Historique de l’Aide au développement
Le concept d’Aide publique au développement (APD), largement inspiré du plan Marshall, est né lors de la décolonisation et avait pour objectif de réduire les inégalités entre les pays du nord et ceux du Sud grâce au transfert de flux financiers orientés vers la mise en place de projets concrets et durables : infrastructures essentielles, actions de lutte contre la faim, santé, éducation etc.
Cette aide était également allouée dans le but de préserver l’influence des anciennes métropoles dans le contexte géopolitique de la guerre froide. En réalité, cette aide n’a fait que renforcer l’influence des pays du nord sur les pays africains qui considèrent, pour la plupart, que le modèle de développement occidental est celui qui sied le mieux à une nation qui se veut prospère.
Partant de ce constat, on peut d’ores et déjà mener une réflexion sur le bilan pour ne pas dire une évaluation de l’impact de cette aide au développement sur les pays d’Afrique Sub-Saharienne. Pour rappel, l’APD peut aller directement du pays donateur vers le pays bénéficiaire (aide bilatérale) ou prendre la forme de contributions des États au fonctionnement et aux programmes des organismes internationaux tels que les agences des Nations unies, la Banque mondiale, Fonds monétaire international etc. (aide multilatérale). Les acteurs de l’aide publique au développement sont très nombreux : institutions internationales, États, collectivités, agences et banques de développement.
Résultats des recherches
Plusieurs recherches ont été faites allant dans le sens d’évaluer les initiatives de développement découlant de l’Aide publique au développement. Les résultats, de façon générale, de ces recherches ont montré les éléments essentiels qui suivent :
- L’aide internationale contribue à un (1) point de croissance supplémentaire dans les pays en voie de développement;
- Elle est essentielle pour atténuer les contraintes de financement;
- L’aide étrangère a une signification statistique réelle sur la réduction de la pauvreté;
- La désagrégation de l‘aide par source et type montre que la totalité de l’aide publique au développement (subventions et aide multilatérale) a des effets sur la réduction de la pauvreté;
- La démocratie renforce l’efficacité de l’aide étrangère sur la réduction de la pauvreté;
- L’allocation de l’aide est plus déterminante que le volume de l’aide;
- Les partenaires au développement doivent se concentrer sur la réduction de la pauvreté dans la région Afrique Sub-Saharienne;
- La bonne gouvernance pour ne pas dire la présence d’institutions fortes est déterminante dans l’efficacité de l’Aide publique au développement;
- Les procédures de gestion de l’Aide doivent être mieux encadrées, pensées.
Au niveau des statistiques relativement récentes, en 2023, selon le Comité d’aide au développement (CAD) de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), les flux de l’Aide publique au développement vers l’Afrique Sub-Saharienne ont diminué de 8% en termes réels. Comparativement, le transfert des fonds des travailleurs migrants de la région a augmenté au cours des vingt (20) dernières années. Cette manne financière de la diaspora occupe aujourd’hui une place importante dans le financement extérieur du développement.
Mais la question fondamentale qui vaille la peine d’être posée est : Pourquoi, après des décennies de transferts fonds destinés à l’APD, l’Afrique subsaharienne soit toujours dépendante de l’extérieur et n’arrive pas à juguler la spirale de la pauvreté? Autrement dit, est-ce que cette aide permet véritablement de réduire la pauvreté ? Ce questionnement sur l’efficacité de l’aide a permis aux partenaires techniques et financiers et les pays bénéficiaires par le biais du Comité d’aide au développement (CAD) d’organiser des conférences sur le financement de l’APD comme ce fut le cas en 2002 à Monterrey au Mexique, 2008 à Doha, Qatar et 2015 à Addis Abeba en Éthiopie.
De ces rencontres, des résolutions ont été faites, des engagements ont été pris allant dans le sens d’apporter des réponses pérennes et durables sur l’efficacité de l’APD. Il faut également noter la résolution qui a été prise lors de la Déclaration de Paris de 2005 concernant le mode de gestion des programmes et projets de développement. En effet, cette rencontre a permis d’asseoir le concept de «Gestion axée sur les résultats (GAR)» qui se définit comme une façon de gérer et mettre en œuvre l’aide en se concentrant sur les résultats souhaités et en utilisant les données disponibles en vue d’améliorer le processus de décision.
C’est important de revenir sur ces engagements dans la mesure où ils témoignent des efforts qui sont en train d’être menés par les parties prenantes de la problématique du développement. Cependant, des voix s’élèvent de plus en plus en Afrique pour remettre en question cette Aide Publique au Développement. Ces critiques portent pour l’essentiel sur :
- Un système des Nations Unies dont les fondements sont devenus obsolètes et méritent d’être repensés;
- Des institutions financières dominées par les grandes puissances et qui ont tendance à mettre tous les pays africains dans le même registre de procédures. Autrement dit, elles tiennent pour acquis que «One size fits all»;
- Une APD qui ne profite pas véritablement aux pays africains mais plutôt les compagnies étrangères occidentales;
- Les Africains n’ont pas une véritable mainmise en ce qui concerne la définition des priorités des projets de développement ciblés par les APD;
- Les pays occidentaux ne respectent pas leurs engagements financiers en termes de prise en charge de l’APD;
- Les bailleurs se concentrent beaucoup sur les procédures de bonne gouvernance que sur la gouvernance proprement dite car selon eux, les pays africains sont confrontés à des problématiques de leadership et de management.
En dépit de ces obstacles, l’espoir est encore permis pour l’Afrique car elle regorge d’énormes potentialités qui devraient être mises à profit. Nous proposons dans les lignes qui suivent des perspectives de développement.
Mais la question fondamentale qui vaille la peine d’être posée est : pourquoi, après des décennies de transferts fonds destinés à l’APD, l’Afrique subsaharienne soit toujours dépendante de l’extérieur et n’arrive pas à juguler la spirale de la pauvreté?
Pistes de solution
Le premier pas vers un développement réside dans notre capacité d’appropriation de nos projets. Il faut d’abord une prise de conscience de notre faible niveau de développement et que nous œuvrons dans le sens de bien maîtriser nos perspectives de développement. Il s’agit également de rompre avec cette idée selon laquelle l’émergence de l’Afrique, pour ne pas dire son développement, passe nécessairement par les aides ou appuis extérieurs. Le développement du continent africain se fera avec la volonté et l’ingéniosité des Africains.
Repenser notre modèle de développement
Nous avons longtemps pensé que notre modèle de développement devrait être à l’image de celui des pays dits développés. Une idée que l’Occident a entretenue pour justifier sa présence en Afrique après les indépendances et que les africains ont adopté aveuglément.
Le modèle emprunté occulte considérablement nos réalités, nos us et coutumes et vient restreindre nos capacités à s’approprier cette façon de faire. L’Afrique regorge de femmes et d’hommes compétents capables de réfléchir sur leur devenir et asseoir un modèle de développement qui tienne compte de leur environnement. Nous devons rompre avec cette attitude attentiste d’éternel assisté. Il urge plus que jamais que l’Afrique soit debout et puisse compter sur ses dignes filles et fils.
Engagement citoyen/ sursaut patriotique
Le patriotisme, l’engagement citoyen sont des concepts qui devraient être inculqués dès le bas âge à l’école primaire. Les curricula doivent être mis à jour pour insister davantage sur ses aspects et que la jeunesse africaine soit plus consciente de son obligation à participer aux efforts de développement de son continent. Et au-delà des curricula, des activités liées à la citoyenneté à tous les niveaux des cycles élémentaire et secondaire doivent être initiées. D’ailleurs, il est plaisant de constater qu’un vent nouveau souffle en Afrique en ce qui concerne une jeunesse africaine patriotique, décomplexée, désireuse de prendre part aux efforts de développement de son continent.
Le développement du continent africain se fera avec la volonté et l’ingéniosité des Africains
Repenser nos institutions régionales africaines
On ne saurait nier l’importance de ces institutions mais leur impact véritable mérite qu’on s’y arrête. Elles reçoivent énormément de critiques au regard de toutes les difficultés socio-économiques, sécuritaires et politiques auxquelles font face les pays africains. Beaucoup pensent que ce sont des conglomérats de Chefs d’États africains au service de l’Occident, autrement dit, les Africains ne se reconnaissent plus dans ces institutions qui sont censées réduire ou du moins atténuer les obstacles au développement de l’Afrique. Nous avons besoin d’institutions fortes capables de prendre à bras le corps les préoccupations des Africains.
Des organisations non téléguidées de l’extérieur et qui prônent la solidarité et l’entraide entre les nations africaines sur toutes les questions sécuritaires et de développement.
Équilibre dans les relations internationales/changement de paradigmes
Il y a énormément de préjugés dans les relations internationales. L’Afrique y est peinte comme un continent pauvre avec d’énormes ressources naturelles, un continent qu’il faut éternellement assister, qu’il faut guider, orienter en ce qui concerne les priorités de développement. Cette attitude paternaliste des pays développés vis-à-vis de l’Afrique date de l’époque coloniale. En effet, nous sommes passés de colonies à une autre forme de colonisation, plus pernicieuse, le néocolonialisme, qui fait que l’Occident ne peut pas se départir de ce regard sur l’Afrique.
Avec le phénomène de la mondialisation, le monde est devenu un grand village planétaire et appelle à un changement de paradigmes dans les relations entre les nations. Tous les pays souverains doivent être traités d’égale dignité et nous devons tous être respectueux les uns envers les autres pour plus d’équilibre dans les relations internationales. Car l’Afrique a de plus en plus conscience de ses potentialités, se positionne comme étant le continent de l’avenir. Fort de ce constat, elle entend jouer sa partition dans le concert des nations non sans l’engagement de leaders déterminés à œuvrer pour une Afrique digne.
Respect des engagements
Les pays développés prennent beaucoup d’engagements financiers lors des rencontres internationales avec l’Afrique qu’ils ne respectent pas. Une situation que les dirigeants Africains déplorent souvent même s’ils ont également leur rôle dans cette situation. Ils promettent l’annulation de la dette des Pays pauvres très endettés (PPTE) et une aide publique au développement de 6500 milliards de dollars, et ces promesses ne se concrétisent toujours pas.
De plus, selon l’Organisation non gouvernementale (ONG) OXFAM, l’Afrique aurait besoin de 27 000 milliards de dollars pour financer son développement et faire face aux effets des changements climatiques. C’est autant d’éléments importants sur le devenir du continent africain qui devraient susciter des débats, mener à l’élaboration de stratégies de développement pérennes.
Image d’illustration: ID4D
Aïssatou Diallo Camara est une professionnelle spécialisée en gestion de projet avec plus de quinze (15) années d’expérience. Aïssatou a exercé l’essentiel de son activité professionnelle dans le domaine de la gestion des projets et des études de développement. Elle a notamment élaboré des projets pour le compte d’ONGs canadiennes sous financement de l’ACDI et également travaillé pour le Centre de recherche pour le développement international (CRDI).
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Bonjour Aissatou
J’ai apprécié votre papier qui est documenté, raisonnable et .équilibré.
Mais j’ai deux chagrins:
– Emploi: votre document n’en parle pas. Le développement d’un pays repose à l’essentiel sur la création d’emplois productifs.un pays qui se développe sans créer des emplois ça n’existe pas nul part dans le monde. Ou sont les politiques pour attirer le secteur privé africain ou international ?
– Diasporas: vous effleurez le sujet. Les montants des transferts des diasporas sont très supérieurs à l’APD. Le hic c’est que ces montants vont vers les familles qui sont ainsi assistées (qui ne s’arrachent plus pour trouver un emploi – dixit un ami africain).
Les montants de l’APD et des diasporas devraient donc être plus orientés vers les projets créateurs d’emplois. C’est un impératif du développement
Bien cordialement
Jean-Patrice
jean-patrice.poirier1@orange.fr