Rivolala Ratsimandresy
Sur l’initiative « La rencontre des entrepreneurs »
« La rencontre des entrepreneurs » est un cabinet de conseil spécialisé dans le financement et l’accompagnement opérationnel des PME. Cependant, cela n’a pas toujours été le cas mais on a fait évoluer le modèle. C’est-à-dire que le business modèle historique de la rencontre des entrepreneurs était en tant qu’accélérateur.
Nous étions le premier accélérateur dédié aux PME (Petites et moyennes entreprises). Donc nous faisons bien la distinction entre PME et startup.
Les Startups sont des activités dont le cœur de métier est basé sur la nouvelle technologie. Dans le cas contraire, ce n’est pas une startup mais une PME, mais c’est juste un défaut de langage.
Les défis dans l’accompagnement des entrepreneurs, particulièrement au Sénégal
Le principal défi est lié à la compréhension des entrepreneurs de l’utilité de notre mission.
En somme, nos entrepreneurs pensent que pour se développer, ils n’ont pas besoin d’aide or, c’est extrêmement compliqué.
La preuve, il y a des entrepreneurs dans notre écosystème qui n’ont pas nécessairement besoin de cela. Mais vraiment, quand on regarde de plus près, ces dix dernières années, on a des nouveaux métiers en Afrique. Ces derniers nécessitent de trouver des structures d’accompagnement spécifiques à leur métier d’où notre mission. Donc le défi majeur, c’est au niveau de l’ensemble de ces entreprises-là, les convaincre en disant que c’est bien ce que vous avez fait, mais cela peut être amélioré davantage si vous vous laissez aider ou conseiller par des structures et par d’autres experts qui connaissent le domaine pour justement améliorer votre business. Ceci est le premier défi.
Le deuxième défi concerne la configuration de l’écosystème. Il y a beaucoup de choses qui ont été faites, certes via les programmes au Sénégal, par rapport à tout ce que le gouvernement a déjà mis en place, qui sont très bien par exemple, la DER (Délégation générale à l’entrepreneuriat rapide des femmes et des jeunes), le BMN (Bureau de mise à niveau) et L’ADEPME (agence de développement et d’encadrement des petites et moyennes entreprises). Cependant, il y a un souci d’interconnexion entre ces différentes structures. Par exemple, quelle est l’interconnexion aujourd’hui entre l’AFD (Agence Française de Développement), le BMN et la ADEPME ?
Pourtant, ce sont des structures qui devraient travailler quasiment ensemble parce que la DER finance ; le BMN s’occupe plutôt des mises à niveau des structures beaucoup plus avancées.
Et l’ADEPME sur leur positionnement, c’est plutôt une structure étatique qui est censée accompagner le porteur de projet.
L’impact de l’informel
Le formel/l’informel n’a pas de conséquences concrètes sur l’entrepreneuriat. C’est-à-dire que souvent les gens disent oui, ils sont informels. Pourtant, les boutiquiers sont dans l’informel mais rendent un service, ils se font de l’argent.
Il y a des gens qui sont formels, qui ne se font pas nécessairement d’argent. La vraie question, c’est sur la notion d’entrepreneur.
Alors le vrai sujet, c’est de faire la distinction entre les entrepreneurs et les auto-entrepreneurs. C’est justement, le sujet. Nous, ce qu’on recherche, ce sont les entrepreneurs. Alors que dans notre écosystème, il y a énormément d’auto-entrepreneurs.
Où se trouve la différence entre les deux ? C’est qu’un entrepreneur est celui qui a vocation à dominer un marché. Vous êtes dans n’importe quel marché, ce sont les entrepreneurs qui dominent. C’est le cas de la SEDIMA et de NMA (Nouvelle Minoterie Africaine).
C’est-à-dire que NMA est arrivée, avant les autres qui ont investi le secteur de l’aliment de bétail, ils ont vocation à prendre des parts de marché. C’est un entrepreneur. Il n’y a pas un entrepreneur qui se dit : « j’ai juste un salon de coiffure et c’est tout, vous devez avoir cette ambition d’aller dominer votre marché. Par contre, un auto-entrepreneur se contente de ce qu’il a.
Une fois qu’il a un garage et 10 ou 20 clients, il s’en contente. Par contre, un entrepreneur développera des franchises. Donc, vous comprendrez que ce n’est pas une question de formel ou informel mais du caractère de l’objectif de la personne qui gère le business.
Il y a quelques années, on avait écrit des chroniques là-dessus et ce n’est certainement pas inné, il n’y a pas de gène d’entrepreneur, c’est un acquis. Et je rajouterais même, ce n’est pas lié aux diplômes non plus.
Pour synthétiser, c’est pour dire que l’informel/ le formel est neutre. Le plus important, c’est de dominer son marché. Vous pouvez être informel et évoluer, je prends l’exemple des boutiquiers qui peuvent avoir plusieurs boutiques voire vingt à trente mais ils sont dans l’informel.
L’accès au financement : un faux problème ?
Au niveau de la RDE, notre thèse n’a jamais été un problème de financement pour les entrepreneurs. A chaque fois que je dis qu’il n’y a pas de problème de financement, les gens sont surpris.
Il y a 26 banques commerciales au Sénégal, il y a quasiment plus de 300 systèmes financiers décentralisés (micro-crédit). Il y a sept ou huit fonds d’investissement dont les tickets varient de 10 000 € jusqu’à des milliards. On note aussi la DER, une structure paraétatique, bref hybride.
Vous avez un projet, avec tout ce que je viens d’énumérer en plus des aides et des subventions des différents programmes qui existent, si vous n’arrivez pas à trouver de l’argent, c’est qu’il y a un problème. Vous êtes peut-être le problème et votre projet peut être n’intéresse personne. Et il faut dire cette vérité.
Le rôle de la banque est de donner de l’argent pour qu’elle même puissent faire de l’argent. Le rôle d’un fonds d’investissement, c’est d’investir ; donnez aussi de l’argent dans le but de le multiplier.
Tous les projets au Sénégal qui sont bons ont tous été financés. Donc le problème de financement est un faux problème. Tout le monde n’a pas vocation à être financé et tous les projets n’ont pas vocation à être financés.
L’accès au financement n’a jamais été un problème. Il y a eu beaucoup d’améliorations qui ont été apportées ces dernières années. Même les inégalités d’accès sont de plus en plus prises en compte. Aujourd’hui par exemple au Sénégal, il y a le Women Investissement Club, un fonds d’investissement créé par des grandes dames de ce pays pour résoudre un problème sur les questions de financement des femmes.
On ne sait jamais si la startup sera champion ou pas. Il y a des critères, il y a des éléments selon l’expérience qu’on peut pré-identifier, mais rien n’est sûr jusqu’à ce que la chose se fasse. Cela se confirmera dans le temps car parfois vous pouvez être champion pendant un temps court. On a vu cela avec le basculement créé par la crise de la covid-19
Le financement n’est pas un problème. Le vrai problème c’est qu’on n’a pas suffisamment d’entrepreneurs, des jeunes qui ont cette capacité à porter un projet, au-delà même de ce qu’ils espèrent. Cela demande beaucoup de sacrifices.
Le rôle des accélérateurs et incubateurs dans la croissance des entreprises
Le rôle des accélérateurs est fondamental et c’est un métier tout récent. C’est pourquoi, il est méconnu pour la plupart des entrepreneurs. Donc, il y a quelque chose de formidable qui fut créé il y a quelques années qu’on appelle Afric’innov. Les initiateurs ont constaté qu’il y avait des accompagnements mais pas la qualité.
Afric’innov est une association qui regroupe l’ensemble des structures d’accompagnement innovantes en Afrique francophone, du Sénégal jusqu’à Madagascar en passant par Comores et Djibouti.
L’idée ici est de comprendre que certes les structures sont géniales mais ça ne se fait pas tout seul. Il y a des structures issues du métier qui sont là pour pousser ces entrepreneurs. Le métier, c’est justement de partager les expériences, pour qu’ils ne fassent pas les mêmes erreurs.
Leur métier est de faire en sorte qu’on le met demain sur le droit chemin. Donc c’est quelque chose de très utile, surtout au niveau des jeunes qui veulent entreprendre, je sais qu’il y en a pas mal au Sénégal qui se sont créés, mais une fois encore, ces jeunes doivent se renseigner parce qu’on ne peut pas tout donner.
Il ne faut pas hésiter à cultiver la curiosité, à s’intéresser à ces sujets d’entrepreneuriat et faire des recherches.
Mais vous ne pouvez pas accélérer quelque chose qui n’existe pas. Vous ne pouvez pas incuber quelque chose qui n’a même pas pris. Donc, selon l’évolution de votre projet, vous devez être en mesure de dire votre position.
Selon l’évolution de leur projet, les jeunes devront désormais être en mesure d’expliquer leur projet parce qu’il y a un travail qui a été fait pour savoir où se diriger.
On fait un pari sur un probable potentiel mais on est jamais sûr
Au niveau de la RDE (Rencontre des entrepreneurs), très tôt, de par notre positionnement en tant qu’accélérateur, en 2016, nous étions le premier accélérateur de PME au Sénégal. On avait un programme qui durait un an.
On faisait rentrer des boîtes et puis on les accélérait. Concernant, les critères de choix, on regardait deux choses : le chiffre d’affaires de la boite et le nombre d’années d’existence. Si le chiffre d’affaires était inférieur à un certain montant à l’époque, on ne regardait pas parce qu’on savait qu’on ne pouvait pas accélérer. Donc pour nous, c’était vraiment le chiffre d’affaires, le nombre d’emplois et d’années, parce qu’on voulait avoir des personnes selon le chiffre d’affaires qu’elles proposaient, et voir si elles embauchaient ou pas.
Il y a des gens qui font peut-être 10 milliards de chiffre d’affaires, mais s’ils sont seuls, ça ne nous intéresse pas. Je prends l’exemple de Sadio Mané, c’est un champion mais comment on pouvait le prédire ? Tout le monde avait identifié son potentiel comme les autres mais personne ne le savait.
On ne sait jamais, mais tout le monde fait le pari. C’est pratiquement le même pari que font les banques ; elles prêtent à telle personne pour espérer que son activité s’envole pour pouvoir en bénéficier.
On ne sait jamais si la startup sera champion ou pas. Il y a des critères, il y a des éléments selon l’expérience qu’on peut pré-identifier, mais rien n’est sûr jusqu’à ce que la chose se fasse. Cela se confirmera dans le temps car parfois vous pouvez être champion pendant un temps court. On a vu cela avec le basculement créé par la crise de la covid-19.
Augmenter la résilience des entrepreneurs
Pour moi, cela se résume à une chose « la formation », ce que la plupart de nos entrepreneurs font très rarement. Pour preuve, regardez les entreprises qui ne font pas de formation, elles galèrent souvent, c’est difficile. Nous autres, d’après nos tests, nous sommes convaincus que « la formation » est la base.
C’est-à-dire que vous devez en gros perpétuellement améliorer vos connaissances car les choses vont très vite, lire des livres, suivre des séminaires. Ce qu’on ne fait pas. Pourtant, les moyens sont disponibles.
Je ne dis pas que vous devez suivre 20 séminaires dans l’année, mais faire le minimum car ça va vous permettre d’être en avance vis à vis finalement de vos concurrents ou vis à vis des autres car vos connaissances seront tellement aiguës, pointues que vous vous en sortirez mieux que les autres. Moi je dirais véritablement la formation.
Le mythe de la dualité entre l’écosystème anglophone et celui francophone
Je pense que c’est un mythe, sincèrement. Prenons les classements, où sont les pays Africains ? ils sont tous vers la queue, au fond du classement. Donc le fait que le Sénégal soit 158ᵉ et que le Ghana soit 120ᵉ, on est tous derrière et on ne va pas se concurrencer derrière. C’est juste un mythe.
Je pense que les pouvoirs publics devront être honnêtes en disant à ces jeunes-là que l’entrepreneuriat n’est pas la solution à tous leurs problèmes. C’est fort ce que j’ai dit là, dans le sens où ça peut être à contre-courant de tout ce que les gens pensent
Cependant, je pense qu’il faudrait une étude afin de regarder de plus près les deux mondes francophone et anglophone.
Maintenant, concernant, la mentalité anglo-saxonne comme on dit, ils sont avec les Anglais ou avec les Américains, ils ont beaucoup plus évolué et sont plus ouverts. Mais c’est relatif. C’est à contextualiser.
Pour détruire ce que je viens de dire, certes l’Afrique du Sud fait partie des Brics, le seul pays africain mais aussi anglophone. On se demande alors, où sont le Nigéria, le Kenya, l’Égypte ? Donc pour moi ça dépend des contextes, parce que si on fait une analogie, on aurait dit qu’aucun pays francophone ne pourrait se faire de l’argent. Pourtant, les pays francophones font des choses formidables.
Recommandations
Je pense que les pouvoirs publics devront être honnêtes en disant à ces jeunes-là que l’entrepreneuriat n’est pas la solution à tous leurs problèmes. C’est fort ce que j’ai dit là, dans le sens où ça peut être à contre-courant de tout ce que les gens pensent.
Parce qu’aujourd’hui l’entrepreneuriat est devenu quelque chose d’énorme et on a beaucoup de jeunes chômeurs. Les jeunes ne s’en sortent pas, il faut qu’ils entreprennent. Il faut faire attention. Les entrepreneurs ne prennent pas de salaire pendant des années.
Vous devez porter votre projet, payer vos salariés avant de penser à vous rémunérer. La recommandation est de dire que l’entrepreneuriat n’est pas nécessairement la solution que vous servez sur un plateau à tous ces jeunes.
Deuxièmement, il faut qu’il y ait un langage de vérité, qui au moins permettra qu’il y ait moins de désillusion. Le constat est que ces jeunes arrivent en disant « je veux être entrepreneur, j’ai besoin de financement etc… » Non, ce n’est pas ça.
Tout le monde n’a pas vocation à être financé, c’est comme faire les études supérieures. C’est pas tout le monde qui a un master. Tout le monde à ses limites.
La troisième recommandation concerne la fiscalité. L’ensemble de nos États devront revoir véritablement de fond en comble leurs politiques fiscales pour inciter désormais les gens à créer. Je prends l’exemple du Sénégal, est-ce normal que lorsque vous créez votre entreprise, avant même que vous fassiez vos premiers francs, vous ayez sept types d’impôts ? Cela n’encourage pas les gens à être formels. Donc il faut revoir la politique fiscale et l’autre recommandation, c’est forcément en termes d’éducation. On devrait insérer l’entrepreneuriat dans les programmes scolaires pour que les jeunes puissent essayer en groupe. Certes, tout le monde ne peut pas l’être mais au moins essayer, c’est comme le sport, la natation ou encore le taekwondo. Je suggère une réforme de l’éducation est nécessaire dans ce sens pour que les jeunes puissent être intégrés et que la notion de gestion d’argent ne soit pas taboue.
Tout le monde devrait tester, mais tout le monde ne le sera pas. C’est comme au football professionnel. Tout le monde était dans un centre de formation, mais il n’y a qu’un seul « Sadio Mané » à la fin. Voilà, on espère un prompt rétablissement à lui. C’est un peu tard pour notre Coupe du monde mais bref…
Source photo : Adobe Stock
Titulaire d’un Master 1 de Droit des Affaires de la Faculté de Droit de Reims puis d’un Master 2 de Fiscalité, Droit des Affaires, Conseil et Gestion d’Entreprise délivré par INSEEC Paris (Institut des Hautes Études Économiques et Commerciales), Rivolala Ratsimandresy. a évolué dans le monde de conseil d’abord chez KPMG LLP puis chez TAJ (Deloitte) en France, pendant 8 ans avant de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale. A l’initiative de 3 entreprises ces 10 dernières années, la Rencontre des Entrepreneurs est sa quatrième tentative entrepreneuriale co-fondée en 2014, avec une associée. Aujourd’hui la RDE est le premier accélérateur privé de PME du Sénégal.