Auteur : Gildas Lemarchand
Site de publication : Conflit.com
Type de publication : Article de revue
Date de publication : août 2023
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Alors que les pays du Sahel tombent dans la violence et l’insécurité, la Mauritanie demeure stable. Une exception qu’il convient d’analyser de près pour mieux la comprendre. Un an après le déploiement de Wagner au Mali, dix ans après le début de l’opération Serval, plus de quarante ans après son retrait du Sahara occidental, la Mauritanie joue un jeu d’équilibre dans la région. Dans une dynamique de contagion régionale bien connue, le pays n’a pas connu d’attaque terroriste depuis 2011.
Une utilisation savante du marqueur religieux
Nouakchott s’est tout d’abord attaquée au terrorisme islamiste en osant porter la lutte sur le terrain théologique. Au fondement de la politique religieuse mauritanienne se trouve l’aura prestigieuse. La piété du pays est en effet reconnue dans le monde musulman, il est ainsi de bonne facture pour les grandes familles du Golfe de disposer d’un prédicateur mauritanien privé. Cette réputation de piété a d’évidence contribué à éviter que l’État mauritanien ne soit désigné trop aisément comme takfir par les groupes armés régionaux. Ce qui aurait légitimé la violence à son encontre. Elle a également servi de base à la mise en place d’un véritable dialogue religieux au sein du pays. Souvent citée comme un exemple régional, cette politique englobe un fort volet carcéral et sert de pilier à la lutte contre le djihadisme.
Un tournant vers la rigueur sociale a également été adopté entre 2009 et 2013. De la fermeture des bars à celle de l’ambassade d’Israël, toutes ces mesures prennent place dans le jeu mesuré sur la moutaraka, pacte de non-agression tacite entre croyants dans la tradition musulmane. Nouakchott souffre à cet égard de la « thèse du pacte ». Basée sur des documents américains déclassifiés en 2016, elle exprime l’idée que la Mauritanie serait à l’abri de toute attaque en échange d’un soutien financier discret.
L’Islam est aussi pour Nouakchott l’unique moyen de garantir la cohésion nationale. Le sujet communautaire est si tendu et la captation du pouvoir, par les beïdanes, si prégnante que les résultats du recensement de 2013 n’ont jamais été rendus publics.
Par ailleurs, le règlement du passif humanitaire, nom pudiquement donné aux massacres des populations noires dans les années 1990, continue d’empêcher toute réconciliation entre les maures et les populations du Sud. Les beïdanes maintiennent donc artificiellement leur majorité dans le pays, en conservant dans leur groupe culturel les haratins. Le risque est que ces anciens esclaves, de culture maure, mais noirs, rejoignent politiquement, par argument racial, les populations noires du Sud du pays renforcées en effectifs par des vagues migratoires. Dans tout cet ensemble, le seul marqueur commun demeure la religion.
Refonte et redéploiement du système sécuritaire
En même temps qu’elle investit le champ des causes religieuses, Nouakchott s’acharne à battre militairement les GAT. En 2005, la caserne de Lemgheitty est attaquée, trente victimes sont à déplorer dans les rangs des forces mauritaniennes. De ce revers, le gouvernement obtient un consensus absolu pour apporter une réponse appropriée. Premier jalon : l’augmentation du budget de l’Armée. Il est multiplié par quatre en neuf ans. Dès 2010, celle-ci affirme la capacité mauritanienne à rétablir une défense de l’avant, en menant des raids à quelques kilomètres de Tombouctou. Pour faire schématique, les avions repèrent et neutralisent éventuellement, les GSI réduisent la résistance et confirment la destruction.
Concernant le volet population, l’État mauritanien s’acharne depuis quelques années à fixer les locaux et à réguler les flux migratoires. Au Nord du pays, le maillage mis en place par les GSI a été bouleversé par la ruée vers l’or initiée dès 2016.
Afin d’achever cette réflexion, rappelons que le djihadisme comme idéologie politique repose sur les concepts de takfirisme (la déclaration d’une personne ou d’une organisation comme apostat légitime la violence à son encontre), d’al-wala’wal bara (la loyauté et le désaveu – un musulman doit une loyauté absolue à tous les autres musulmans) et d’al-hakimiyyah qui permet le rejet de l’État importé (la souveraineté est combattue si elle n’a pas de fondement coranique).
Avec son jeu sur le prestige religieux comme sur la moutaraka, Nouakchott se met à l’abri des deux premières notions. Concernant la troisième, la Mauritanie est avant tout une République islamique. Elle régule par ailleurs l’aide des pays occidentaux, muselant toute médiatisation de cet apport extérieur.
Elle prend également une série de contrepieds pour équilibrer cette influence et faire montre d’indépendance. Ainsi, alors que le Mali est marginalisé, le président mauritanien a plaidé début juillet 2023 pour un retour de Bamako dans le G5 Sahel. Elle diversifie encore les partenariats, acceptant autant une aide démonstrative américaine que quelques investissements chinois, ou encore de signer un accord de défense avec la Russie.
Au niveau des forces de sécurité, la Mauritanie tend à employer tous ses moyens vers la défense de son territoire. Par traumatisme d’abord : elle échappe aux velléités de dépeçage de ses voisins dès son indépendance.
Outre quelques interventions, les énergies sont dévolues depuis à la survie du pays. Cela étant, le gouvernement mauritanien reste inquiet du risque ethnique qui pointe dans le pays. La captation des pouvoirs par les beïdanes, dont la part dans la population décroît progressivement, fait en effet apparaître un déséquilibre de plus en plus criant. Le scénario d’une implosion d’ici quelques années est une probabilité prise en compte.