Les réformes institutionnelles prioritaires « Il faut la continuité des débats qui ont eu lieu en 2019, avec la commission nationale de la réforme des institutions qui a fait des propositions mais qui sont encore restées depuis cinq ans à l’état de proposition. Il faut renforcer les institutions pour les rendre plus démocratiques. Mais il faut aussi restaurer ce lien de confiance entre les citoyens et les institutions. Quand nous parlons d’institutions, on parle des institutions administratives dans sa généralité, mais également des institutions judiciaires. Il faut qu’il y ait ce lien de confiance, ce lien d’acceptation, d’adhésion à ces institutions. Ces dernières doivent être au service des populations pour lesquelles elles ont été créées. Lorsqu’on évoque la question de la réforme des institutions, il y a effectivement la question de fond liée au principe de la séparation des pouvoirs. Généralement, ce principe est apprécié à l’aune du pouvoir judiciaire, mais aussi à l’aune du pouvoir législatif dans un contexte de fait majoritaire. Même si au Sénégal, les dernières élections législatives ont montré que le fait majoritaire a relativement reculé parce qu’on a presque frôlé la cohabitation dans cette 14ᵉ législature. Cependant, au niveau du renforcement de la séparation des pouvoirs, il reste à faire. Par exemple, le mode de désignation des représentants du peuple (élus) pose problème. Étant donné qu’ils sont investis par les partis politiques, on a l’impression que nos élus respectent davantage les consignes des partis politiques que les aspirations des populations. Avec la réforme constitutionnelle de 2016, il y a eu un ajout d’une fonction intéressante au Parlement, celle de l’évaluation des politiques publiques. Cependant, si on faisait le bilan des politiques publiques évaluées par le Parlement, on n’aurait pas beaucoup de politiques publiques ou en tout cas des évaluations rendues publiques. Les citoyens n’ont pas d’informations précises sur les politiques publiques évaluées. Avec le mode de désignation des élus, lorsqu’on doit évaluer une politique publique on devient souvent juge et partisan, parce que la personne qu’on évalue est souvent camarade de parti ou camarade de coalition de partis. Ce sont des questions de fond pour lesquelles, il faudrait à mon avis essayer de trouver un juste milieu. Le juste milieu serait de dire que le mode de désignation de nos représentants ne doit pas être tributaire que des partis politiques, mais également des sortes de primaires ou encore sélectionner quelqu’un ou des personnes reconnues dans leur localité. Généralement, on désigne des responsables nationaux dans les localités afin de diriger des listes, notamment une liste départementale, et une fois que la liste passe, il devient de facto le représentant de ces départements, même s’il n’a pas un ancrage social ou un ancrage sociologique dans ces départements. Cela crée souvent un fossé entre le peuple et son représentant ou le représentant et le peuple. C’est cette triste réalité du rapport gouvernants/gouvernés, représentants/représentés, qu’il me semble important de questionner. On ne peut gouverner si on ne partage pas les sentiments, les aspirations, le subconscient, avec le peuple qu’on compte diriger. La conséquence à mon avis, c’est qu’il y a souvent une différence entre ceux qui nous représentent et ceux qui sont représentés parce qu’ils ne partagent pas les mêmes espaces, et s’ils le font, c’est uniquement à la veille des élections. Le parrainage en est une parfaite illustration. Tous ceux qui récoltent des parrainages aujourd’hui sont obligés de se rendre dans les familles. Même s’ils n’y vont pas directement, indirectement, ils envoient des émissaires, parce que c’est la guerre des chiffres. Donc, il y a un besoin de réforme des institutions, un besoin de renforcer ce lien qui existe entre le citoyen et les institutions, ce besoin qui existe de renforcer ce lien entre l’administration, à qui on reproche souvent un manque de diligence, et les administrés. » Garantir la mise en œuvre des réformes politiques et institutionnelles « Il faut qu’on renégocie la question de la redevabilité et du contrat social. Il faudrait qu’on arrive à dire au candidat à la présidentielle que « les engagements que vous prenez, vous allez les consigner avec un acte écrit et signé. » Le peuple va donc monitorer, c’est à dire que les candidats seront évalués sur la base des engagements pris avant d’être élus. On n’en est pas encore à la campagne électorale au moment de discuter les programmes, mais j’ai vu qu’il y avait des initiatives très intéressantes consistant à auditionner les candidats en fonction des thématiques. On a auditionné des candidats sur la question des mines et des énergies, on a auditionné des candidats sur la question des droits des femmes, sur la question de la démocratie, le respect de l’État de droit, les libertés, la justice, etc. Beaucoup de candidats sont passés pour décliner leur programme. Cependant, quand ils arrivent au pouvoir ils ont tendance à introduire des modifications. Par exemple, le Président de la République, Macky Sall en 2012, portait un projet appelé « Yoonu Yokouté » qu’il avait vendu au peuple, une fois élu, sa coalition et lui ont préféré élargir le projet et l’insérer dans un cadre beaucoup plus macro dont le (PSE) Plan Sénégal Émergent. Au final, on nous vend un produit x et par la suite on nous présente un produit y ; même si le produit y est censé être amélioré. Le contrat qui avait lié le peuple et son candidat dès le départ doit être conservé, les reformes proposées doivent être respectées. On doit pouvoir promouvoir un véritable débat de fond sur des questions essentielles de notre pays, notamment la question de l’inclusion des femmes, celles des enfants et de l’éducation et des questions en rapport avec la future gouvernance. Ce sont des questions qui doivent amener les nouveaux dirigeants à la réflexion, ils doivent être auditionnés. Avec le renforcement de l’éveil des consciences des populations, le futur Président devra respecter ses engagements à l’encontre des citoyens qui justement assurerons le contrôle ; c’est un contrat. » Les priorités d’action pour les droits des femmes « Comme première recommandation, je dirai qu’il faut une modification du code de la sécurité sociale pour la question de la pension de réversion. Car, les conjoints des femmes fonctionnaires qui décèdent n’ont pas de pension alors qu’elles cotisent. C’est une revendication que les femmes avaient posé sur la table du Premier ministre mais qui malheureusement reste sans suite. Il y a également, un vieux débat sur la question de la puissance paternelle et de l’autorité parentale ; c’est aussi un aspect fondamental sur lequel il faudrait qu’on discute et qu’on trouve la meilleure formulation pour améliorer les droits des femmes. Un autre aspect, c’est la question de l’accès aux ressources économiques, les femmes occupent plus le secteur informel. On doit voir comment renforcer l’accès aux ressource financières et économiques dans leur globalité. L’État doit aussi prioriser la question des violences basées sur le genre dans notre communauté. C’est vrai que la direction de la famille et des groupes vulnérables essaye de faire de son mieux, mais il en faut plus. L’État doit nous présenter un programme national de lutte contre les violences liées au genre afin de contribuer de manière considérable à son éradication de notre communauté. Ce programme sera un guide qui nous mènera vers la prévention, la sensibilisation, l’accompagnement et même la réhabilitation des victimes de violences. L’autre aspect est la question de la participation décisive des femmes dans les instances de prise de décisions. On a la loi sur la parité qui aide pour les fonctions électives et semi électives mais par contre, par rapport à la question des fonctions nominatives, le Sénégal n’est pas le meilleur élève. Le prochain Président doit réfléchir, et prendre des mesures, afin de nommer beaucoup plus de femmes. Les politiques d’alphabétisation, surtout l’alphabétisation fonctionnelle qui était très intéressante et qui avait permis à beaucoup de femmes de changer leur quotidien ne doit pas être abandonnées, mais plutôt être repensées surtout à l’aune de l’intelligence artificielle et des télécommunications. Il y a énormément de choses que les jeunes femmes peuvent faire et cela peut régler plusieurs questions telles que l’employabilité des jeunes, le renforcement du pouvoir économique, etc. On a une intelligence collective qui à mon avis, n’est pas toujours exploitée pour changer les conditions de vie. » Les reformes dans l’enseignement supérieur « L’année universitaire est loin d’être stable, on vit actuellement la fermeture de nos universités depuis six mois et cela n’encourage pas. Il faut une régularisation de l’année universitaire afin d’avoir un enseignement de qualité et respecter les quantums horaires statutaires. L’autre aspect qui me semble être une question de fond, c’est l’orientation, et ceci depuis le collège et le lycée. Il faut orienter les élèves dans les filières techniques qui permettront aux jeunes une fois formés dans nos universités, d’être opérationnels. Le but c’est d’éviter de trop faire l’enseignement général même si celui-ci est aussi utile, afin de pouvoir équilibrer entre l’enseignement général et celui technique. Les universités manquent d’infrastructures. En réalité, les infrastructures que nous avons ne sont pas suffisantes au regard des effectifs que nous avons chaque année. De ce fait, il y a une certaine promiscuité, surtout dans une ville qui n’est pas grande comme la ville de Bambey. On a beaucoup généralisé l’enseignement supérieur, ce qui est très bien. Par contre, il nous faut réfléchir à des nouveaux mécanismes et des innovations. C’est le devoir du prochain Président du Sénégal. Il y a un lien étroit entre l’employabilité, le marché du travail et la formation. Si nos formations ne permettent pas de donner tout de suite à nos étudiants un emploi, c’est qu’on a un véritable problème. Nos universités publiques forment de très bons produits. Si aujourd’hui, vous sillonnez toute l’administration sénégalaise, vous trouverez dans le privé comme dans le public de très bons produits formés dans nos universités. Cela veut dire que, si on fait un petit effort pour renforcer aussi bien les moyens humains, les moyens matériels, les infrastructures et l’accès équitable à l’enseignement, cela permettra justement de repositionner les universités publiques sénégalaises. » Les Priorités nationales globales pour le bien-être collectif. « Le secteur de la santé est prioritaire. Tout le monde n’a pas accès à des IPM (Institutions de prévoyance maladie), à des systèmes d’assurance, etc. Généralement, notre système de santé ne permet pas toujours de répondre aux besoins de nos communautés alors que le droit à la santé est un droit primordial. La Priorité numéro une est donc la santé. Il faut qu’on se penche sur la question de la santé et permettre aux populations d’avoir une carte sanitaire beaucoup plus fournie, un plateau médical plus relevé. L’autre priorité c’est l’éducation. Parce qu’on a différents types d’écoles, notamment le public, et le privé mais aussi différents types de système d’enseignement ; arabo-islamique et celui laïque. Il me semble que c’est important d’harmoniser les besoins et l’offre éducative que nous proposons. Par exemple, il y a beaucoup de débats autour des écoles coraniques. Ce n’est pas à déconnecter avec la question de l’offre éducative. L’État doit offrir des possibilités. La troisième priorité, c’est la justice. On a beaucoup parlé de judiciarisation de la politique ou de politisation de la justice ces dernières semaines ou ces dernières années. Nous devons restaurer le blason de la justice. Évoquons également la question de la justice sociale. Notre société doit pouvoir favoriser l’égalité des chances et celle des droits. »
Extraits de l'entretien
Docteure en Droit, Zeynab Kane est enseignante – chercheure en Droit public à l’Université Alioune Diop de Bambey. Elle est membre de l’équipe de recherche en sciences juridiques et politiques où elle travaille sur les questions liées au droit constitutionnel et au droit de l’environnement. Militante des droits des femmes, elle est également membre de l’Association des Juristes Sénégalaises.Dr Zeynab Kane